jeudi 25 mars 2010

Eraserhead, de David Lynch



La peur de l’inconnu, la peur de tout ce qui paraît irréelle. Cette peur, l’homme la possède depuis toujours, se manifestant d’une façon différente pour chaque être. Très tôt dans son histoire, le cinéma a comprit que la peur était une chose excitante, exaltante pour le spectateur en soi, mais surtout un filon d’or pour les cinéastes avides de donner des sensations fortes aux personnes pour qui la peur ne reste qu’une façon comme une autre de s’évader. En 1977, David Lynch réalisa son premier long métrage intitulé Eraserhead. Filmé en noir et blanc, il fut aussitôt l’objet d’un film culte tant les spectateurs le trouvèrent fascinant, complexe et surtout inexplicable. Lynch réalise ici un film oppressant, sombre, qui baigne entre le rêve et la réalité et tout ça avec des touches de fantastique. Il raconte une histoire simple d’un homme qui se sauve de sa réalité cauchemardesque (celle de vivre avec un bébé monstrueux) pour s’évader dans ses rêves. Selon Roger Caillois dans Au cœur du fantastique : Tout le fantastique est rupture de l’ordre reconnu, irruption de l’inadmissible au sein de l’inaltérable légalité quotidienne. C’est ce que nous allons tenter de comprendre comment ce phénomène se passe dans le film; le fantastique plane tout au long du métrage sans nécessairement être explicite. Il se manifeste certes d’une étrange façon, celle bien sûr que Lynch a su forger tout au long de sa carrière, ce film étant son premier long-métrage.

Plans et cadrages
Tout d’abord, Lynch, par ses plans et ses cadrages, instaure un climat de fantastique. Dès le début du film, Henry, le personnage principal, se retrouve à errer dans une ville sans nom, parsemé d’immeubles sales, de rues sombres et de flaques d’eau. La fin du monde est proche, ou est déjà passé. Donc tout peut arriver. Au moyen de sa caméra, Lynch filme son personnage marché d’une manière latente, presque fantomatique dans les rues. Les plans d’ensemble signifie qu’il y a sûrement quelque choses d’autre qui y habite. Par exemple le personnage sort du cadre et la caméra reste quelques secondes supplémentaire dans un plan fixe. Sans aucun doute, le mystère plane, le personnage n’est peut être pas seul. Henry entre par la suite dans un ascenseur. Lynch joue ici sur l’attente. En effet, le personnage attend de longues secondes avant que les portes ne se ferment. Cette scène est divisé en deux plans. Un personnage semble être là, prise de vue en plan subjectif. Henry regarde le personnage invisible (la caméra, donc nous spectateur). Lynch explore ce procédé très souvent dans le film. Sommes-nous un personnage du film ou tout simplement la caméra du réalisateur? Loin de révolutionner le genre, le cinéaste emploie plutôt un style classique (pas de plan-séquence, ni de plans qui veulent vraiment dire quelque chose, sinon qu’on est dans un monde qui ne s’explique pas, mais qui se vit), et proche du cinéma muet tellement qu’il n’y a pas de dialogue. Dans son essaie intitulé David Lynch , Michel Chion dit ceci à propos du style classique que l’on retrouve dans Eraserhead,: on ne trouve pas chez Lynch de rhétorique préexistante, (…) de référence à un langage cinématographique au sens codé et fermé, ni de connotation a prioriste liée à telle ou telle façon de filmer. (…) Le langage visuel de Lynch n’est pas autre chose qu’une application personnelle d’un langage commun. Il continue en disant que c’est plutôt dans le traitement des images, son côté mystique, qui le distingue des autres films dit classique : Mais le cinéma est un système tellement fort qu’il suffit de distendre telle ou telle de ses dimensions pour lui donner un aspect tout différent, et retrouver une expressivité et une éloquence surprenantes. C’est ici la force première de Eraserhead, son côté mystique qu’on ne peut expliquer, les techniques cinématographique ne pouvant non plus le faire. Le long-métrage est une expérience en soi.

Autre façon de susciter le fantastique qui est une fois de plus très Lynchien, le son. Dès le tout début du film, lorsque Henry se promène dans les rues de la ville pour se rendre chez lui, les sons sont très lourds, oppressant, venu d’ailleurs. Cette trame sonore va se continuer tout le long du film. Les sons s’enchaînent sans aucune rupture esthétique. Michel Chion parle de ce son en disant qu’il n’y a plus de solution de continuité entre ambiance et musique. Tout le long du film on passe tout naturellement d’une rumeur houleuse, évoquant une tempête ou une machine, à une tenue musicale en tremolo, de nature mélodramatique ou extactique(…) Ces changements de sons abruptes n’arrivent certainement pas pour rien. C’est cette ambiance qui donne au film ce cachet de plus, cette sensation que le spectateur ressent de ne pas être dans le même monde que Henry.

Le songe, le rêve selon Lynch
Une autre caractéristique que l’on retrouve dans le cinéma fantastique, le rêve. Le personnage de Henry, pour se sortir de son cauchemar à lui qui est la réalité, va se bâtir un monde par l’intermédiaire d’un objet somme toute banal, le radiateur de chauffage central de sa chambre. Dans son rêve, une femme au visage déformée (un visage qui ressemble beaucoup à celui de John Merrick, l’homme éléphant du deuxième film de Lynch) apparaît sur une scène et lui chante des ballades. Plus tard dans le film, Henry retourne à ce rêve. La dame lui chante une chanson sur le paradis (lieu assez commun dans le fantastique). Henry va la rejoindre sur scène et se retrouve dans un autre lieu avec la tête tranché. Cette tête se transforme en gomme à effacer après avoir été mis sur une chaîne de montage (dénonciation évidente de l’industrialisation, les humains finissant tous dans les rouages de cette machine infernale et sans pitié) qui fabrique des crayons à mine. Henry se réveille enfin. Comme tout bon rêve, tout ceci n’a ni queue ni tête. Mais pourquoi donc le présenter? À la toute fin du film, on revoit cette dame, et Henry lui saute dans les bras. Enfin il est heureux. Il a trouvé sa place, dans ses rêves. La réalité n’est plus ce qu’elle était. Pour lui ce rêve est le paradis, qui renvoie directement à la chanson sur le paradis un peu avant dans le récit. On peut donc parler ici d’une sorte de mort, de suicide qu’Henry aurait fait après avoir tué son enfant. Il se retrouve donc dans les bras de la femme qu’il aime, au paradis. D’ailleurs il n’y a pas de décor, seulement un mur blanc. Le film se terminant aussi sur un fondu blanc. Tout comme un rêve, le spectateur est aussi dérouté que le personnage lui-même. Le rêve, le songe, est une caractéristique qui revient souvent dans les films de Lynch. Les personnages se retrouvent très souvent entre la mince frontière qui sépare réalité et rêverie, mais surtout réalité et cauchemar. Lynch enfonce souvent ses personnages dans des situations parfois drôle, parfois absurde et d’autres fois complètement démesuré. On n’a qu’à pensé aux personnages principaux des films tels que Twin peaks :fire walk with me, Mulholland drive, Lost highway, ou bien encore plus récemment Inland empire. Lynch les entraînent dans un monde ou ils ne reconnaissent plus rien de la vie en générale, ils sont déstabilisés. Ils ne savent plus distingué la réalité avec leurs rêves. Lynch est en quelque sorte un voyeur qui aime exposer ses personnages à faire des choses tordus, qui prennent souvent une tournure tragique.

Une scène digne de Lynch
Une des scènes qui illustre bien le fantastique chez Lynch reste sans aucun doute celle longue scène du repas avec les beau-parents d’Henry. Une analyse serait pertinente pour constater à quel point il met l’emphase sur ce qui n’est pas raisonnable, sur ce qui n’a pas lieu d’être là dans un monde qui lui est raisonnable, c’est-à-dire le nôtre. La scène commence par Henry qui se rend à la maison de sa belle-famille. Arrivé au pied de la porte, il voit Mary qui l’attend au travers de la fenêtre. L’air méfiant, il n’ose avancer. Mary à la fenêtre prend un air triste. Le dîner est prêt, Henry décide donc d’entrer. Il fait alors la rencontre de la mère de Mary. Assise paisiblement sur un divan, elle attend quelque chose. La scène est sombre, près de l’expressionnisme allemand. Changement de plan, Henry est assis avec Mary. Au coin du salon, une chienne allaite ses bébés, Henry regarde cette scène avec stupéfaction (les spectateurs aussi). La scène est silencieuse, ils ne savent pas quoi se dire. Mary fait une crise d’angoisse. C’est alors qu’apparaît le père de Mary d’une façon brusque et surprenante. Le plan est filmé à la hauteur d’Henry. Après les présentations, Bill, le père, hausse le ton de sa voix et des sons très fort et étrange se font entendrent comme un orage qui s’élève. Après cette scène, Bill est donc considéré comme un être étrange. Lynch nous amène par la suite à la cuisine, on agit maintenant, nous spectateurs, en tant qu’observateur en positionnant la caméra dans le coin de la cuisine. Dans cette pièce, un autre personnage est présent; une vieille femme assisse sur une chaise n’a pas l’air très vivante, ou du moins de bouger. La mère prépare un plat de salade. Cette séquence est montré par la suite en parallèle avec le couple au salon qui ont l’air de s’ennuyer et le père qui prépare le reste du souper. Toute cette séquence se passe dans un silence complet entre les personnages, mais les sons, extra-diégétique, confèrent encore une fois au fantastique, aux sentiments pour nous que quelque chose se passe ou va bientôt se passer. Scène suivante : la famille sont réunis devant la table pour le souper. Tout se déroule très bien jusqu’à ce que Henry se sert un morceau de poulet. Comme par pur enchantement, le poulet commence à bouger les cuisses, et un liquide, qui ressemble à du sang, coule abondamment dans l’assiette. Cette scène est emblématique du fantastique chez Lynch. Il émet chez le spectateur un certain dégoût sur une chose somme toute banale (comme l’oreille dans le film Blue velvet), ici un morceau de poulet cuit. La scène continue avec la grand-mère qui fait une crise en regardant le poulet saigner de la sorte. Un certain climat de peur, d’incertitude, se fait sentir de plus belle. Le cinéaste utilise les gros plans pour montrer cette horreur indescriptible. Cette scène peut sembler bizarre pour les spectateurs, mais banale pour les personnages qui regardent le poulet comme si rien d’inquiétant ne s’était passée. Bill et Henry restent là sans rien dire pendant de longues secondes. Le père reste figé dans le temps, arborant un large sourire. Mary sort de la cuisine et pleure. La mère demande à Henry de lui parler dans le salon. En se levant de sa chaise, la lumière de la lampe éclate faisant jaillir un énorme faisceau de lumière blanche dans tout l’appartement. Quelque chose de mystique s’en vient. Henry se rend aussitôt au salon, sa belle-mère le questionne sur sa vie sexuelle avec Mary. La scène est filmé avec très peu d’éclairage, laissant croire que les pensée des personnages sont sombres, et en effet la belle-mère suivant son instincts embrasse le cou de son gendre d’une manière presque animale (et très vampirique). Elle lui annonce que lui et Mary ont enfanté un être prématuré qui ne ressemble pas beaucoup à un enfant. Cette scène se termine dans la cuisine avec un plan sur la grand-mère assisse près du four, immobile, presque inexistante. Lynch a su créer avec cette scène un vrai climat de peur sur cette famille plus qu'angoissante. La grand-mère symbolise ici l’arrêt du temps, le fait que le monde dans lequel ils vivent n’est plus ce qu’il était. Il faut désormais s’arrêter de vivre. Cette scène reste inexplicable, et c’est ce qui la rend si fascinante. L’ambiance de la scène hypnotise le spectateur, la rend si unique.

Le monstre, éléments primordial
Le thème du monstre est ici très récurrent dans le film, et dans le cinéma fantastique en général (Frankenstein, Godzilla, et compagnie). Dans Eraserhead, plusieurs figures différentes y sont présentées. L’évidence même se situe au niveau de l’enfant, ou plutôt de la créature, enfanter par Mary. Celui-ci est laid, difforme et ne ressemble en rien à un être humain. Henry refuse que ce soit son enfant la première fois qu’il le voit. C’est quelque chose que l’on ne veut pas croire, qui choque la raison, qui va au delà de la pensée rationnelle de l’être humain. Beaucoup de films fantastiques vont jusqu’à la destruction du monstre; le personnage principal, le héros, étant celui qui joue le rôle du destructeur. Le public a prit un certain goût à voir cette destruction, du moins l’entrevoir si celui-ci se passe en hors-champ. Cette fameuse scène de destruction se passe tout de suite après le deuxième rêve de Henry. N’écoutant que ses mauvaises pensées, (il est tourmenté pendant un bout de temps et fait les cent pas dans l’appartement), il se décide à prendre une paire de ciseau et à passer à l’acte. Il découpe la créature. Aussitôt, son ventre et ses viscères s’ouvrent d’une manière presque naturelle. Un liquide ressemblant à de la purée sort de son corps. La créature crie de douleur, et meurt. Enfin le héros s’est débarrassé du monstre. Mais était-ce vraiment un monstre? Ce qui est fascinant c’est que la plupart des monstres, représenté soit au cinéma ou dans la littérature, ont tous quelque chose de fascinant, qui touche la sensibilité du spectateur. Ici la créature peut sembler être un monstre, mais n’est qu’en fait qu’un être difformé. Le spectateur peut prendre celui-ci par pitié, ou du moins ressentir un sentiment de tristesse face à sa mort si cruelle. Il est seulement un enfant après tout. Il a même ce regard innocent et enfantin dans quelques scènes. Le spectateur peut s’attacher à cet être, mais en sachant que ses journées sont comptées et qu’il ne peut vivre dans ce monde qui est le nôtre. Outre le physique, un autre aspect du monstre est représenté par la famille de Mary. En effet, ces personnes agissent bizarrement, ils ne sont pas dans le même monde que nous. Par exemple, la grand mère agit de façon irrégulière en restant immobile, le père arrête de parler et de bouger au moment du souper. Il y a ici portrait d’une famille de monstre, de désaxées. Dernier monstre : la femme du radiateur. Un mélange de Marilyn Monroe et de John Merrick, l’homme-éléphant du film de Lynch. Pour elle, c’est plutôt physique. Elle a deux énormes bosses à la place des joues, un visage laid, mais un corps parfait. Son aspect horrifiant est censé repousser les gens, mais pas Henry. Il est entouré de monstres, ça ne fait aucun doute, et il choisit quand même de vivre avec l’un d’eux, sûrement parce qu’il en est un aussi…



En guise de conclusion, nous avons vu à quel point le premier film de Lynch est une expérience à vivre, l’ambiance générale étant très près du fantastique. Un fantastique qui est plus près des émotions vécu par les personnages. Le personnage d’Henry vit dans un monde incompréhensible que même lui ne comprends pas toujours. Il ne réagit pas, reste immobile; tout comme le spectateur. Le fantastique peut se manifester de différentes façons, Lynch nous le démontre d’une
manière dont lui seul a le secret.

Across the Universe, de Julie Taymor




Dans les années 30, au cinéma, un nouveau genre vu le jour à Hollywood : la comédie musicale. Beaucoup de grandes stars tels que Fred Astaire, Ginger Rogers, les Marx brothers, ont passé devant la caméra en chantant leurs amours déchus, leurs joies et leurs peines. Le genre a perduré durant toutes les autres décennies, tout en étant en harmonie avec leur époque, leur style. Aujourd’hui, la comédie musicale existe toujours et ne cesse de se renouveler. En seulement quelques films, la réalisatrice, et surtout l’artiste, Julie Taymor compose un univers propre à elle qui se tourne cette fois-ci sous forme de comédie musical (elle a déjà tourné la biographie d’une célèbre artiste-peintre nommé Frida et une tragédie shakespearienne, Titus). Son film, Across the universe, parle d’une histoire d’amour déchirante durant la guerre du Vietnam. Depuis son tout début, et même encore aujourd’hui, le cinéma a été l’objet d’innombrable discussions à propos de sa spécificité, et de sa relation avec les autres arts. En incorporant les autres arts, le cinéma reste-t-il encore du cinéma? Et bien oui. Le cinéma affirme son autonomie qu’il est un art à lui seul, et en même temps il réfléchit sur sa représentation, en suscitant les autres arts. Dans ces cas-ci, le cinéma est auto-réflexif. Avec Across the universe, Taymor crée un nouveau style pictural à sa pellicule en incitant que toutes les formes d’arts n’ont rien perdu de leur force d’éblouir et de surprendre. En effet, son dernier film incite beaucoup sur la musique, mais aussi sur la peinture et bien sûr comme tout film musical, le théâtre.

L’effet musical dans Across the universe
L’intérêt premier de Across the universe se situe surtout au niveau de la musique. En effet, pour ne pas le cacher celui ci reste une comédie musical, ou plutôt un drame musical. L’originalité premier du scénario vient tout d’abord de la façon que les chansons y sont amenées : Taymor a choisit de réaliser un vibrant hommage au groupe The beatles. Pour ce faire, elle a réunit pas moins de 34 chansons du groupe et créé une histoire et des personnages qui font échos aux textes des chansons. Vu le succès grandissant du groupe, d’autres films ont été fait avec une trame sonore qui comprend uniquement des chansons du groupe, notamment le film The yellow submarine de Georges Dunning en 1968 ou bien encore It’s a hard day’s night en 1964. Dans le texte La musique au cinéma , Michel Chion dit que la musique a l’immense avantage d’être cet élément libre dont la présence et les moments d’intervention ne sont pas assujettis à des règles de vraisemblance, tenus d’être justifiés par un élément concret du scénario. C’est ici que se porte la force des comédies musicale; celle d’être invraisemblable, mais d’y croire quand même. Le spectateur sait que le but du récit n’est pas d’être ancré dans la réalité pure, mais d’avoir les même émotions que le personnage quand il chante. Au fil des années, la comédie musicale a commencé à présentée des films qui se passait sur scène, au music-hall, pour conduire le spectateur de plus en plus vers la rue, plus près de lui. Le spectateur peut donc se reconnaître plus en la personne de la rue que la star.

Le film commence donc avec le personnage de Jude chantant la chanson Girl sur une plage. Dès les premiers instant, le spectateur sait à quoi s’attendre : une histoire d’amour déchirante entre un jeune homme et une jeune femme. Les chansons parlent bien évidemment des sentiments des personnages, mais va encore plus loin en s’imprimant dans l’époque donné; soit celle de la guerre du Vietnam (influence évidente d’une autre comédie musicale; Hair de Milos Forman) .Le générique du début met le spectateur dans le contexte, en montrant des images d’archives sur fond d’une chanson des Beatles. Au-delà des images d’archives démontrant les horreurs de la guerre, une vague suit le rythme de la mélodie, l’histoire du film racontant bien évidemment les haut et les bas d’une inconditionnelle histoire d’amour. Par la suite, la caméra fait un traveling circulaire en plongée, et nous fait la présentation des personnages principaux. Le film peut donc commencer.

Dans son essai, La comédie musicale Hollywoodienne , Rick Altman place la comédie musicale dans trois sous-genre : la comédie-conte de fées, la comédie spectacle et enfin la comédie-folklore. Il dit aussi ceci : Chaque sous-genre utilise un médiateur différent entre la réalité du spectacle et le monde auquel il aspire. Ce qui est intéressant avec Across the universe, c’est que le film pourrait s’insérer dans les trois catégories. La comédie-conte de fées consiste de nous projetés dans un passé culturel mythique (guerre du Vietnam), dans un décor majestueux. La guerre des sexes est prédominante, l’histoire se finit toujours bien, et bien sûr l’amour finit par triompher. La comédie-spectacle se passe la plupart du temps sur une scène de spectacle, en coulisse. Dans le film de Taymor, quelques scènes se passent sur scène notamment au début avec la chanson Hold me tight ou encore avec les scènes nombreuses du spectacle de Sadie, la chanteuse et propriétaire de l’immeuble ou vivent les principaux protagonistes. Enfin, La comédie-folklore remet au goût du jour les valeurs de l’époque données (le foyer familial, le patriotisme, etc)..

Le mouvement, le rythme musical… et la danse
La mise en scène concernant le rythme musical fourmille d’idées. Pas seulement concernant la musique, mais aussi des sons et des mouvements des comédiens. Dans une des scènes, l’aiguille d’une horloge suit le rythme de la chanson It won’t be long . Pendant la chanson A little help for my friends, un des comédiens se met à jouer de la batterie dans les airs suivant la cadence et même chose pour un vieillard qui joue de la batterie sur des couvercles de poubelles pendant la chanson Hey Jude. Le son ayant ici une grande importance. Les personnages aussi mettent le rythme grâce à leurs mouvements, notamment dans les nombreuses scènes urbaines lors de parade ou des foule. Par exemple, cette scène ou Max va passer les tests pour l’armée. La scène est très vivante. Sur l’air de I want you, les soldats font tous les mêmes mouvements tout en suivant la musique. Cette scène ressemble aussi à l’arrivé d’un autre personnage, Jojo, qui, sur l’air de Come together, traverse la ville en croisant pleins de gens dansant sur le même rythme. Les rythmes et mouvements font pair pour nous offrir un spectacle digne de ce nom. Mais qui dit mouvement dit aussi danse. Et de la danse il y en a beaucoup dans le film. De la danse des vagues parmi les images d’archives durant le générique, jusqu’à cette danse du corps entrelacé durant la chanson Lucy in the sky with diamonds au générique de fin, le long métrage, comme la plupart des comédies musicaux, contient quelques scènes de danse. Dans son texte intitulé Cinéma de danse, Andrée Martin dit de ce genre qu’il crée un langage au-delà du langage (…) un langage visuel du geste, loin du discours, plus près du corps et de sa symbiose avec l’image. Une expression communicatrices d’états, de sensations, d’idées, à travers une infinité de signes et de symboles. Elle continue en classifiant deux genre : la danse au cinéma et le film de danse. Beaucoup de films utilise la danse comme une esthétique relié au corps et au geste, le plus souvent dans une parfaite harmonie dramatique. La danse dans le film de Taymor est souvent associée à l’environnement, l’époque ou bien encore les sentiments des personnages. Les personnages n’ont plus de corps, se livrent à eux même dans un mouvement qui n’est pas naturel, mais fonctionne à tout coup. Une des merveilleuse scène de danse au cinéma, largement copié mais jamais égalé, reste sans aucun doute celle du début de West side story de Robert Wise ou deux gangs, les Jets et les Sharks, s’affrontent dans un duel de danse.


Le théâtre
Deuxième élément artistique évident dans le film, comme dans tout autre film à saveur musical, le théâtre. Comment fait-on pour ancrer le théâtre dans un monde aussi réaliste ( celle d’une importante partie de l’histoire des États-Unis)? Tout simplement en disant que la vie ressemble à un théâtre, une scène (William Shakespeare lui même disait cela). On y présente, sous différentes facettes, la théâtralité dans la vie (la scène du quotidien), mais aussi sous forme de rêve, d’hallucinations (causé certainement par les personnages et leurs façons de voir le monde, mais aussi causé par le début des hallucinogènes et des drogues dures comme étant une mode pour les jeunes). Comme par exemple, la scène du Dr Robert, joué par le chanteur Bono qui incarne un auteur de livre très hippie qui veut propager la bonne nouvelle, est assez éloquente de ce propos. Dans cette scène, tout est sujet au théâtre, le Dr. Robert étant le metteur en scène et les jeunes les comédiens. Dr. Robert dirige tout. De la partie musical jusqu’à cette fameuse promenade en autobus. Dans une autre scène, le cirque prend la forme de théâtre. Dirigé ici par Mr. Kite, cette scène est sûrement la plus significative. Des comédiens, des acrobates, des créatures envahissent littéralement l’écran pour nous donner un spectacle au spectateur, mais aussi pour donner ce même spectacle aux personnages du film qui, quelques minutes plus tôt, étaient eux même les comédiens du Dr. Robert. Tout ça dans l’esprit encore une fois des hallucinogènes et des drogues. Cette scène ressemble d’ailleurs à un film réalisé par Georges Dunning en 1968, The yellow submarine. Réalisé en dessin animé, le film de Dunning est très proche de cet univers du cirque, du spectacle, de la mise en scène.

Éléments somme toutes importants au théâtre, la scène. Cette scène représente ici beaucoup l’univers musical. Quelques chansons sont représentées sur une scène de spectacle, notamment celle du début; parallèlement les personnages principaux chantent la même chanson, mais dans un lieu et un contexte différents. La chanson Hold me tight est chanté simultanément par Jude à Liverpool en Angleterre et par Lucy aux États-Unis. Cette scène est représenté d’une façon luxuriante et vivante au États-Unis et d’une manière sombre et renfermé avec des couleurs froides en Angleterre. D’ailleurs chaque entrée des personnages est symbolisé par une chanson qui le représente. Au théâtre, le comédien est souvent présenté d’une manière particulière. Ici la chanson remplace sans aucun doute le monologue, le personnage allant dans un coin et chante son maux ou sa joie de vivre. Le meilleur exemple est celui de la chanson I wanna hold your hand chanté par le personnage Prudence ou on apprend qu’elle a un secret bien gardé; celui d’aimer le même sexe qu’elle. Ce secret sera révélé aux autres personnages que plus tard dans le film, mais nous, spectateur, le savons déjà. En effet, il va être dévoilé lorsque ses amis vont la sortir du placard (et c’est le cas de le dire), lorsqu’ils chantent la chanson Prudence qui raconte l’histoire d’une femme enfermé sur elle-même. Le

Les mouvements du corps et le jeu font ressortir la théâtralité du comédien. En effet, ses gestes ressortent de l’ordinaire, sont souvent exagéré, très près des clichés. Il y a ici un refus total du réalisme. Par exemple dans leur manière d’incarner leurs personnages. Le personnage de Max est sûrement le personnage le plus vivant du film à cause de la façon dont il agit avec les autres personnages, très près du comédien de théâtre. Au théâtre, on joue sur une scène avec des décors que l’on fabrique. Au cinéma, on joue aussi sur une scène, mais qui est beaucoup plus près du réel (la scène de la vie). Cet espace scénique, il y en a beaucoup dans Across the universe. On traite l’espace réel de façon artificiel pour que les personnages puissent y jouer de manière plus théâtraux. Grâce à la caméra, le public sont au centre de cette scène, témoin de ce qui arrive aux personnages.

Shakespeare? Who is Shakespeare?
Une autre chose intéressante ici est le lien avec le premier long métrage de la réalisatrice : Titus, adaptation moderne d’une pièce de William Shakespeare. En effet, Shakespeare hante Across the universe tant le lien avec Roméo et Juliette peut paraître assez évident. Le film raconte une histoire d’amour entre deux personnes pour qui les différences sociaux ne peut faire un. Jude vient d’un quartier pauvre dans une banlieue tout ce qu’il y a de plus banale dans une petite ville de l’Angleterre et il gagne durement sa vie en tant que matelot. Lucy est une fille d’un riche avocat de renommé. La séparation est imminente, ils ne peuvent habiter ensemble. Après la séparation, les deux protagonistes se rendent compte qu’ils sont fait l’un pour l’autre. Et comme dans cette fameuse scène de la fenêtre ou Roméo dit son amour à Juliette, Jude chante la chanson All you need is love. Juliette perchée à sa fenêtre écoute son Roméo lui dicter son amour à grands coups de proses, tandis que Lucy se rend compte de son erreur en écoutant Jude lui chanter des couplets d’amour. Juliette à sa fenêtre, Lucy à son balcon. Il y aurait donc du Shakespeare chez madame Taylor.

La peinture selon Julie Taymor
Autre élément très dominant dans le film, son aspect pictural. Étant elle-même artiste et après avoir étudier en histoire de l’art, Julie Taymor rend un délicieux hommage à cette art qui est la peinture. Un hommage qui se veut avant tout dans la composition de ses images, mais aussi de ses couleurs vives et éclatés. Dans le recueil de textes d’essai Les autres arts dans l’art du cinéma , Alain J.J. Cohen questionne l’image picturale dans le film comme une figure tantôt poétique, tantôt objet du récit, motif ou topos, objet dans le cadre ou raison d’être du cadrage, art ou philosophique de l’art. On retrouve beaucoup de ces éléments dans le film de Taymor : décors, paysages, cadrages rappelant certaines peintures de différentes époques, etc. Tout ça et même encore plus suscite la peinture. Elle rend par exemple un très bel hommage au pop art et à cette culture américaine du début des années 70, mais aussi à Hooper et tout ses artistes peignant la vie urbaine et rurale des États-Unis et de l’Angleterre (pays du personnage principal, Jude). Rick Altman, dans La comédie musicale hollywoodienne , dit deux choses à propos des décors qui est constituée d’aspect de la scène américaine transformée par les arts populaires: (…) d’une part l’élaboration de décors à partir des conventions de la peinture, de la gravure, de la photographie américaine, et de l’autre, l’utilisation de décors naturels, les lieux étant choisis, de manière à évoquer un référent cinématographique ou toute autre illustration. Le décor s’inspire beaucoup de la peinture comme par exemple ce bleu ciel ou se fondent les personnages qui chantent lors de la scène du placard avec Prudence, la jeune asiatique. Ou bien encore toutes ses scènes ou les paysages sortent de l’ordinaire, ou bien d’une toile.

Sa caméra est aussi comme son pinceau; en perpétuelle mouvement. Par exemple, ce traveling circulaire qui part en haut d’une cage d’escalier d’un immeuble et se rend jusqu’en bas, pareillement lors des légers traveling qui entourent les personnages lors des chansons. Ou bien encore lors de la scène de la chanson Across the Universe chanté par Jude : la caméra filme des gens ordinaire dans leur banalité quotidienne qui est celle d’attendre dans un métro d’être à leur destination. Taymor est ici influencé par les réalistes, courant du XIXe siècles, et peint ce tableau vivant. On peut presque voir les coups de pinceaux dans les visages des gens tellement ceux-ci sont pris en gros plan. C’est justement ce choix esthétique, et technique, qui fait qu’on se croit vraiment en train de regarder une toile. Durant tout le film, la caméra reste rarement fixe, comme si la réalisatrice peignait son œuvre en direct devant son public.

Le choix des couleurs et de l’éclairage sont des éléments très important dans la peinture, et le sont tout autant au cinéma. Dans Across the universe, les couleurs primaires sont très importantes; le rouge, le bleu et le jaune. Dans beaucoup de scènes, ils sont très prédominantes, notamment dans les parties plus psychédélique ou l’image a été retravaillé, redessiné même par ordinateur à l’aide d’une technique très efficace. Les couleurs sont pétillantes et même assez hallucinante par moments. Ce qui confère une autre dimension de la façon de présenter une histoire, une image en mouvement. Vers le milieu du film, les couleurs sont plus dans les tons de brun et de noir, le récit allant de ce côté aussi, c’est-à-dire plus sombre. Outre les couleurs, l’éclairage diffère aussi dans le film. Par exemple, dans le pays de Jude, l’Angleterre, le ciel est toujours taciturne, obscur. Au contraire, au pays de Lucy, l’éclairage est lumineux, vivant, éblouissant. On joue aussi sur l’expression des personnages comme lorsque Jude est en prison, l’ombre des barreaux apparaissent sur son visage connotant son côté triste, noir. Une influence très expressionniste.

Autre manière de susciter la peinture, très évident ici, vient du personnage de Jude qui est lui même un peintre. En Angleterre, trop occupé à s’occuper de sa mère qui vit seul, il décide de ne pas faire d’étude en art et d’aller travailler comme matelot. Rendu aux États-Unis, il en fait enfin un métier. C’est alors que son goût pour la création artistique commence (d’ailleurs son appartement est remplie de dessins, de croquis et de peinture). Beaucoup de scènes sont ici représenté quand il pratique son art. Comme par exemple, il fait le portrait nue de sa petite amie, Lucy, pendant qu’elle dort. Ou bien dans une autre scène, il essaie tant bien que mal de reproduire une nature morte , soit une assiette remplie de fruits. Quelques minutes plus tard, il réalise une œuvre après avoir vu une autre assiette remplie cette fois-ci de fraise. C’est alors que, comme un Jackson Pollock et son Dripping, il se met en colère après s’être chicané avec Lucy et conçoit une œuvre en lançant des fraises sur une toile. La fraise devient donc un symbole de colère, mais aussi d’amour. Jude est totalement amoureux de Lucy, mais des complications entre eux vont s’avérer fatales pour l’un et l’autre. À partir de ce moment, la fraise va devenir un élément important. Dans une de ses créations, l’artiste parvient à créer son chef-d’œuvre ultime, soit la succession de vraies fraises sur une toile. Chaque fraise est percée et dégouline de son liquide rouge, symbole de la colère et du sang, mais aussi de l’amour éternel qu’il a pour elle. Cette même toile fait aussi référence au Pop art et aux tableaux de Andy Warhol en ayant comme principe de représenter la même image selon des proportions égaux l’un à l’autre (les boîtes de conserves, James Dean, Elvis Presley ou Marilyn Monroe sont remplacés ici par les fraises). Les fraises reviennent une toute dernière fois à la toute fin du film en logo pour la compagnie d’enregistrement de Sadie. Jude étant évidemment l’artiste-peintre qui a crée cet insigne.

La question de montrer des œuvres picturales devant la caméra est aussi très intéressante. Par exemple, le personnage Jojo marche dans la rue et passe devant un mur remplie de graffiti. Le mur fait ici fait référence à une découverte, une illusion cinématographique. Le personnage n’est pas dans un décor réel, mais devant une peinture, un trompe-l’œil. Alain J.J. Cohen, dans Les autres arts dans l’art du cinéma , dit dans son essai à ce propos que la caméra pointe alors un tableau dans un panoramique pour signaler art de vivre ou richesse des personnages. Cet art de vivre, comme le dirait si bien Cohen, il en a beaucoup dans Across the universe. Il fait bon vivre quand l’art est à nos côtés.


A la lumière de tout ceci, le cinéma perd-il toute sa spécificité quand autant d’éléments artistiques se mêlent l’un aux autres? Le cinéma peut-il être appelé cinéma que lorsqu’on parle de cinéma? Bien sûr que non. Le cinéma est un art. Et cet art n’est que l’addition de tous les autres. Sans le théâtre, la musique, la peinture, l’architecture, ou tout art susceptible d’être appelé un art, il n’existerait sans doute pas. Alors pourquoi pas faire un vibrant hommage à tous ces formes artistiques en les mettant tous, selon un ordre et équilibre, dans le même film. C’est ce que Julie Taymor a expérimenté en réalisant Across the universe qui se veut par l’effet même un hommage au plus grand band de l’histoire du rock’n’roll, The Beatles…

Dirty Harry, de Don Siegel



La fin des années soixante amena de grands changements dans l’histoire du cinéma américain. La société était sous l’emprise d’une guerre injuste au Vietnam où des milliers de soldats étaient tués et les jeunes revendiquaient également le droit d’aller combattre au front. L’Amérique vécut aussi dans une paranoïa constante lorsque des millions d’immigrés arrivèrent à bon port pour y vivre l’american dream qu’on leur avait tant promis dans leur pays. On vit ici apparaître l’époque « post-moderne » du septième art. Aujourd’hui, on reprend les codes cinématographiques de l’époque dite « moderne » pour les esthétiser en les travestissant à outrance. Au cinéma, ces changements sociaux amenèrent un esthétisme de la violence dans des films tels que The wild bunch, de Sam Peckinpah, un western bruyant et violent, ou encore Bonnie and Clyde d’Arthur Penn, un road movie racontant l’histoire vraie d’un couple de tueurs en cavale dans l’Amérique profonde des années trente. En 1971, le réalisateur Don Siegel signe son deuxième film avec Clint Eastwood, après Coogan’s bluff en 1967, nommé Dirty Harry (nous reviendrons sur les quatre suites qui ont été faites dans les années 70 et 80). Le long-métrage critique une société urbaine en crise, paranoïaque du monde qui l’entoure. Une analyse sociologique du film de Siegel décrivant la violence de l’époque est nécessaire pour s’apercevoir à quel point il est en est représentatif. En effet, il correspond parfaitement à cette paranoïa qui rongeait les Américains à ce moment précis de son histoire. Nous verrons en quoi les deux personnages principaux, soit celui de l’inspecteur Harry et du tueur nommé Scorpio témoignent des maux de cette société.

Avant d'analyser le film de Siegel, il serait important de revenir sur la question de la violence au grand écran. En effet, cette violence visuelle commence dans les années soixante avec probablement l’une des images les plus choquantes de l’histoire des États-Unis, le meurtre médiatisé de John Fitzgerald Kennedy. La peur du terroriste et du tueur commence dès lors à se faire sentir. Le film Dirty Harry de Don Siegel marque une date importante dans l’histoire du cinéma, dans le sens où on n’avait pas, ou très peu exploité l’univers du tueur en série jusque là. Déjà à l’époque, le film était considéré comme raciste, violent et inhabituel dans le cinéma hollywoodien. Pourtant, celui-ci n’est que le portrait réaliste de son époque. Les films Point Blank de John Boorman et Coogan’s Bluff de Don Siegel, datant de 1967 et 1968, furent les premiers à témoigner de cette peur (peur de l’autre, de l’étranger) et de cette angoisse venant d’une société en plein changement. Le drame policier urbain refait donc surface après avoir eu du succès dans les années trente et quarante. Dans les années soixante-dix, on ne fait place qu’au spectacle de ses manifestations. Les personnages reflètent bien cette ambiance angoissante. Le personnage d’Harry est interprété par Clint Eastwood, un acteur qui correspond parfaitement au personnage et au climat de l’époque. En effet, il a popularisé auparavant l’Homme sans nom, personnage principal très violent de la trilogie de western à l’italienne (plus communément appelé western-spaghetti) de Sergio Leone. Quatre ans plus tard, Eastwood interprète le rôle de ce policier nommé Harry. Ce rôle rappelle parfaitement celui d’un cow-boy urbain prêt à tout pour se faire justice lui-même dans une société dont il ne comprend plus certaines lois et certaines morales. Le film rappelle ainsi le genre qu’est le western dans la recherche du territoire (dans ce cas-ci, la recherche de la justice individuelle), et de cette extermination de l’indien représenté ici par les terroristes et les tueurs en série. Un tel film regorge de questionnements sociologiques, surtout à l’époque où il fut réalisé, c’est-à-dire en pleine période d’angoisse et de violence.

Le modèle du tueur en série
À cause de l’ambiance paranoïaque des années soixante et soixante-dix, des gens comme Charles Manson sombrent dans une folie meurtrière en tuant des gens innocents. Depuis ce temps, le tueur en série est un personnage récurent au cinéma. Il représente tout ce que les autres redoutent et rejettent. Il est le symbole même de la modernité perverse et de la cruauté du monde contemporain. C’est un être animé d’une jouissance déviante, celle de tuer avec ou sans but précis (si motif il y a, il peut être de nature religieuse, éthique, morale, familiale, etc). C’est un individu seul, traditionaliste, qui n’obéit qu’à des lois individuelles, des lois qui lui appartiennent. Le film de Siegel est tiré d’un fait sordide qui s’est réellement passé dans les années soixante-dix. En effet, un homme se prénommant The Zodiac (ou Scorpio, c’est selon) tuait des passants au hasard s’il n’avait pas la rançon de quelques milliers de dollars qu’il demandait par écrit à la police de San Francisco. Aucun mobile apparent, sinon le pouvoir de l’argent, ne laissait paraître la raison de cette tuerie. Le film de Siegel ne raconte pas vraiment le passé du tueur : pourquoi commet-il tous ses crimes et quels sont les motifs d’une telle violence chez lui? Par contre, en analysant la société de l’époque on peut trouver l’une des raisons possibles de cette violence. Tout d’abord, la première séquence du film est caractéristique de son penchant meurtrier. Ainsi, le film commence avec le tueur en question perché en haut d’un gratte-ciel, fusil à la main. De sa mire, il peut admirer le paysage de la ville de San Francisco. Or, ce qui l’intéresse le plus est évidemment cette jeune femme au maillot jaune qui se baigne sur le toit de l’édifice voisin. D’un coup de fusil, il tue de sang- froid la jeune femme. Du haut de sa tour, il a le grand pouvoir, tout comme Dieu, de décider si oui ou non il la laissera en vie. Dès cette introduction, le spectateur sait que quelque chose ne va pas bien dans la tête de cet homme. Aucune raison apparente ne laisse croire que le tueur a un motif pour éliminer cette jeune femme. Au lieu de cacher l’identité du tueur au spectateur, le cinéaste montre tout de suite son visage. À nous maintenant de découvrir pour quelles raisons il a fait cela. Ce qu’il faut savoir, c’est que le film se déroule pendant la guerre du Vietnam dans ses années les plus noires. Des soldats étaient renvoyés chez eux soit pour causes de blessures ou pour d’autres raisons. Scorpio était probablement un de ces soldat à avoir eu la chance de retourner dans son pays. Effectivement, à le voir tirer sur les gens, il a eu un entraînement. Il est très bien équipé pour ce qui est de l’artillerie. Dans sa première lettre, il affirme vouloir tuer des Noirs ou des prêtres. Cette scène est très représentative de qui il est. En effet, durant la guerre, il a sûrement eu à tuer des Vietnamiens. Maintenant il veut tuer les étrangers. Les Noirs de l’époque sont considérés comme une race inférieure à la race blanche. Le racisme a encore une place importante au sein de la société. Lorsque les soldats revenaient de cette guerre, toute croyance ou toute spiritualité était anéantie par cette quantité de violence qu’ils avaient dû endurer. L’ancien soldat ne croit plus en Dieu, et pour le prouver il menace de tuer un prêtre. Cela fait partie de l’individualité moderne. Il se débarrasse de toute croyance spirituelle, et même de Dieu, pour les remplacer par cet excès de rationalisation du monde auquel il appartient. S’il a bel et bien participé à cette guerre, peut-être a-t-il eu à traverser d’effroyables épreuves qui auraient mis son moral à zéro. Ainsi, il n’aurait plus aucune raison de justifier ses actes et donc plus aucun compte à rendre à personne. Il serait alors perdu dans cette jungle urbaine, abandonné à ses propres pulsions et jouissances déviantes. Dès lors, il ne ferait plus la différence entre le bien et le mal (il faut voir cette fameuse scène finale lors de laquelle il prend en otage un autobus remplis d’enfants, symbole de la société en devenir). Il n’aurait plus la même éthique qu’avant la guerre. Il voudrait faire payer ce qu’il a vécu la-bas à des gens ordinaires. Il a cependant trouvé un adversaire de taille qui ne fait pas non plus la différence entre le bien et le mal.

Portrait d’un policier pas ordinaire
Ce fameux adversaire répond au nom d’Harry Callahan. Harry est le policier chargé de retrouver ce tueur. On ne sait pas son passé, ou même s’il a une vie privée. Il se bat contre la bureaucratie policière qui se camoufle derrière les droits des victimes. Harry prône ses propres lois, ses propres règles sur son propre terrain. La première scène où on le voit en action caractérise immédiatement le personnage. Filmée comme une fusillade à la western, elle met en scène Harry tirant à bout portant sur des Noirs qui cambriolent une banque. D’un air nonchalant, il tire sur tout ce qui peut le menacer de mort. Au lieu de demander aux voleurs de déposer leurs armes, il tire dessus. Une autres scène emblématique est celle où enfin, après un jeu du chat et de la souris dans la ville, les deux protagonistes se retrouvent face à face dans un stade de football. Au lieu d’arrêter le criminel, Harry va tout faire pour qu’il souffre, et même le tuer à bout portant. Cette manière agressive, mais ô combien efficace, ne plaît malheureusement pas à ses hauts dirigeants qui voient ses gestes illégaux face aux lois de la pratique policière. En effet, il aurait dû lui lire ses droits et lui offrir les services d’un avocat, mais Harry n’est pas de ce genre. Il utilise la violence pour faire parler les criminels. Le film pose donc la question sur les droits des tueurs, mais aussi sur les droits des victimes. La jeune fille de quatorze ans retrouvée morte dans le fond d’un trou avait-elle des droits? A-t-elle méritée de mourir? Harry se pose ce genre de questions, avait-il raison quand même de réagir de la sorte?

En effet, ses façons d’agir ne sont pas comme celles des autres policiers. Aux premiers abords, le tueur et le policier sont des êtres différents, mais quand on s’y attarde un peu, on peut remarquer qu’ils se complètent très bien. En fait, s’ils se ressemblent, c’est à cause de la société dans laquelle ils vivent, une société paranoïaque et angoissante. Elle a fait d’eux ce qu’ils sont : des hommes pour qui seules leurs propres règles existent. Harry est un homme charognard qui ne prend plaisir que dans les excès les plus grands (comme celle de brandir un 44 magnum devant sa victime, ou encore de regarder une femme nue). Il prend quand même un certain plaisir à tuer, tout comme le fait le tueur en série. En effet, il n’hésite pas à sortir son fusil à la moindre menace qui pèse contre lui. D’une part, il se bat contre les haut dirigeants de la société et de l’autre, contre les gens qui commettent des gestes violents et gratuits. Il est le médiateur, le juste milieu de l’homme. Il est la loi. Par contre, cette loi a des failles et il ne cache pas les façons de les remettrent au goût du jour. Harry n’est pas un héros, il est plutôt un anti-héros, un homme ordinaire qui se bat contre les failles d’une société dont les jugements et les valeurs morales d’autrui ne sont pas les mêmes pour tous. Dans son livre Inconscience-fiction écrit en 1979, l’auteur Boris Eisykman affirme que :

« Les héros n’existent plus depuis belle lurette, ce qui en tient lieu dans notre modernité économe, c’est le policier, celui qui fait revenir à la norme les énergies excessives et déviantes (les anciens héros), qui impose le modèle le plus commun, celui qui est le porte-parole, le représentant de la majorité médiocre. »

Effectivement, le héros n’existe plus dans la modernité, il n’est que le reflet de ce qu’il est dans une société de plus en plus malade, et le sera pour les années à venir.

Et les suites…
Très vite, les gestes et la pensée du personnage joué par Clint Eastwood furent bien interprétés par son public (celui hors-diégétique, nous évidemment). En effet, il comprit la position du policier envers les criminels, mais aussi envers cette bureaucratie qui essaie de se protéger le plus possible aux dépends du droit des victimes. C’est pourquoi le public redemanda une suite aux aventures du policier charognard. En 1973, le réalisateur Ted Post mit en boîte Magnum force qui décrit une société encore une fois régie par le meurtre, mais cette fois-ci réglée par un groupe de jeunes policiers corrompus et très professionnels. Harry devra encore une fois ne pas écouter ses supérieurs, mais seulement son sixième sens et agir en bien pour la société. Le film est un peu le miroir du premier dans le sens ou c’était Harry qui s’occupait d’éliminer les tueurs, et non les policiers. Trois ans plus tard, James Fargo réalise The Enforcer. L’histoire est celle d’une bande d’hippies qui kidnappent le maire de San Francisco et l’amènent à la prison d’Alcatraz. Bien sûr, Harry va tout faire pour les arrêter. Les deux derniers volets de la série sont bien plus intéressants pour ce qui nous intéresse. En effet, le tueur en série revient donner du fil à retordre à ce cher Harry. Dans Sudden Impact, réalisé par Eastwood lui-même, Harry est envoyé dans une petite ville pour y enquêter sur une série de meurtres. Tôt ou tard, il découvrira que ce tueur est en fait une femme qui tente de se venger du viol qu’elle a subi dix ans plus tôt. Dans le dernier volet, The Dead Pool, réalisé par Buddy Van Horn en 1988, le tueur en série fait circuler dans les médias une liste noire des prochaines célébrités qui vont mourir de sa main. Dans les deux derniers films, la société a changé. Ce n’est plus l’époque de la guerre du Vietnam, mais bien celle de Ronald Reagan. On ne veut plus de guerre désormais. Le mal est maintenant près de soi, comme le voisin ou l’épicier du coin. La paranoïa a changé, on a peur de soi-même. Les deux tueurs en série ne sont pas beaucoup différents de Scorpio ou d’Harry. Les quatre ont une raison de combattre la société dans laquelle ils vivent. Pour la femme dans Sudden Impact, les souvenirs sont parfois plus puissants qu’on ne pourrait l’imaginer et peuvent par le fait même nous conduire à commettre des actes inattendus. Dans The Dead Pool, le tueur n’aime ni les médias ni la célébrité et fait tout pour détruire ce phénomène social en tuant ceux qui en privilégient le plus. Ces personnages ont tous une jouissance déviante, celle de faire du mal aux autres pour se faire du bien.




En guise de conclusion, nous avons vu à quel point les maux de la société de l’époque influença le cinéma américain des années soixante-dix, notamment avec le film du cinéaste Don Siegel, Dirty Harry. La guerre du Vietnam et la peur de l’étranger témoignent parfaitement de cette crise sociale. Ceci amena des personnages déviants tels le tueur en série, parfaitement décrit dans le film de Siegel. Le cinéma a toujours reflété le visage d’une société en mal d’elle-même depuis son invention. Encore aujourd’hui, la violence sociale est omniprésente sur les écrans, seulement elle change de point de vue. L’hyper-modernité, le cinéma de notre présent, a amené cette forme d’exaspération, ce désir de progression technologique que l’on connaît aujourd’hui. La violence est maintenant plus viscérale, plus graphique, décadente. À voir toutes cette violence à la télévision, serait-on nous même atteint de cette jouissance déviante, celle de prendre plaisir à regarder l’autre souffrir?

The Good, the Bad and the Ugly, de Sergio Leone



De 1520 à 1580, un nouveau courant pictural fit son apparition : le maniérisme. Durant la Renaissance, les peintres réagirent face à cette perfection atteinte par les autres peintres avant eux en imitant les toiles, mais de façon référentielle, et en exagérant le tout. Ainsi, ils jouent avec les jeux de codes et de symboles en faisant des illusions et citations plus ou moins évidente. De ce fait, ce courant se voit encore aujourd’hui en musique, en architecture, en sculpture, ou bien encore au cinéma. Un des maniériste phare dans l’histoire du cinéma demeure sans aucun doute Sergio Leone, le célèbre réalisateur italien. En seulement sept films, dont deux trilogies, il se bâtit un langage cinématographique à lui seul. Ses films sont étudiés partout à travers le monde et servent encore de références et de modèles. Il cite de façon évidente les films qu’il regardait étant enfant (John Ford, Howard Hawks) mais de façon à les contourner pour en faire un film aux conventions et enjeux différents. Dès ses premiers films, (la trilogie des dollars, qui met en vedette Clint Eastwood), Leone est reconnu à travers la planète comme un maniériste. En 1966, il réalise The good, the bad and the ugly, le film phare de sa carrière; celui qui le popularisera à jamais. Le film respecte toutes les règles, les conventions et les codes du western américain, mais d’une façon différentes et ingénieuse. Il renverse les thèmes de l’homme de l’ouest, et fait aussi très attention à l’espace, au temps et bien sûr au montage qui parfois est très baroque. Sergio Leone est sans aucun doute un très grand cinéaste du maniérisme.

Codes et conventions
Tout film est inscrit dans un genre, une convention, et possède des codes qui lui sont propres. Par exemple, la comédie romantique parle toujours d’un couple (ou de sa formation), du mariage, du bonheur, et possède, la majorité du temps, une fin heureuse. Ceci est la comédie romantique hollywoodienne dite classique. Le western, genre le plus important du cinéma, possède aussi des caractéristiques précises sans quoi le spectateur ne sera pas en mesure de reconnaître le film dans son ensemble. Dans l’essai Western et épopée de Éric Busson et Dominique Périchon, les deux auteurs disent que le western (…) se soumet à des codes d’identification et à des règles qui l’encadrent dans sa structure comme dans son système narratif. En effet, dès le début du film, le spectateur s’attend à des procédés qu’il a déjà vu, à des règles pré-établies comme les décors, les personnages, les villes-fantôme, l’ambiance générale, etc. Il est en mesure dès les premiers instants de savoir qui va être le héros, le méchant, la femme, le shérif de la ville, etc. Côté narratif, le spectateur s’attend à une histoire concernant la conquête de l’ouest, ou bien celle opposante des cow-boys à des hors-la-loi, des blancs à des amérindiens, etc. Même avant de commencer le film, le spectateur peut s’imaginer déjà comment celui-ci va se dérouler tellement ces codes se retrouvent dans chaque métrages. Beaucoup de films, qui n’ont rien à voir avec le western, empruntent la structure narrative et les codes de celui-ci; notamment les films noirs, les films de samurai japonais, les drames policier, ou même encore les films de science-fiction (George Lucas a vu beaucoup de westerns avant de faire sa trilogie Star Wars en 1977).

Dès le générique de début de The good, the bad and the ugly, Leone présente ses trois personnages sous forme de peinture et de dessin animé avec une musique des plus envoûtantes, qui sera un des thèmes musicaux du film. La technique employée est déjà très ingénieuse, très peu de films à cette époque emploie le dessin animé, et encore moins dans un western. Leone poursuit avec un plan d’ensemble d’un paysage sauvage, ensuite un homme vient s’insérer devant le champ de la caméra, et on aperçoit une ville avec un chien errant. Après, des hommes armés s’approchent de la caméra. Le spectateur qui se retrouve devant cette introduction s’attend donc à un western. Mais le film est beaucoup plus complexe que cela. En effet, il utilise beaucoup de codes que le western classique a instauré depuis son début en 1903 avec The great train robbery, mais les démystifient à un tel point que le film semble nouveau, rafraîchissant. Comme par exemple son humour. Le personnage de Tuco, joué par Elli Wallach, possède un sens de l’humour et de dérision jamais vu dans un western (personnage qui fait très picaresque, style d’humour espagnol dans la littérature en vogue au début du siècle). C’est un personnage cynique, prêt à tout pour gagner de l’argent, même de risquer sa vie au bout d’une corde pour toucher la moitié de sa prime. Dans le western classique, un méchant reste un méchant, un gentil reste un gentil. Dans le film, il n’y a pas qu’un seul personnage principal, mais bien trois. Le titre caractérise très bien le tempérament de chacun, mais vu sous un autre angle, il y a bien sûr de l’ironie de la part du réalisateur. Les méchants peuvent être les gentils et vice-versa. Le personnage de Tuco est considéré comme le brigand, le voleur. Durant le film, le spectateur s’attache plus à lui que les autres. Le personnage de blondin (joué par Eastwood) est caractérisé par le bien : The good. À la toute fin, blondin abandonne Tuco à son triste sort. Il ne serait donc pas aussi bon que l’on puisse le croire. Dans le livre Il était une fois en Italie de Christopher Frayling, Leone dit du film que ce qui m’intéressait, c’était d’une part de démythifier le traditionnel clivage ‘‘bon et‘méchant’’ et d’autres part de montrer l’absurdité de la guerre.

Le film se passe dans les années 1860. La guerre de Sécession bat son plein. Les sudistes et les nordistes s’affrontent dans une guerre sans merci. Pour les personnages du film, cette guerre passe seulement en deuxième. Elle n’existe pas. Pour eux tout ce qui compte, c’est de s’enrichir financièrement. Une des scène d’anthologie reste sans doute celle lorsque Tuco et Blondin se font prendre par les nordiste en passant que ceux-ci étaient de leur côté. De la poussière empêchait de voir la vraie couleur des uniformes. Un autre très beau moment rapportant l’inutilité de cette guerre est sans aucun doute ce pont que blondin et Tuco font sauter à l’aide d’explosifs. Stratégiquement, ce pont ne sert à rien. Il est là seulement pour comme autre fonction, celle de s’entretuer, de se battre pour se battre. Le capitaine du régiment est alcoolique et loin d’avoir toute sa tête. A propos de cette scène si absurde, Leone dit dans le livre Sergio Leone : le jeu de l’ouest de Oreste De Fornari :
Pour ce qui est de la guerre civile que traversent les personnages, dans mon optique, elle est inutile, stupide : il n’y a pas de bonne cause. La phrase clé du film est celle ou un personnage commente ainsi le combat pour le pont :’’Je n’ai jamais vu mourir tant d’imbéciles, et si mal’’.


Leone reprend un thème cher aux western classique, la guerre de sécession, et en fait une satire politique. Dans les films de Ford ou Hawks, cette guerre était représenté comme acte héroïque, mais aussi de destruction. Par différents moyens, Leone nous fait sentir cette destruction, cette guerre inutile qui tua pleins de jeunes soldats innocents. La phrase clé du film résulte bien cette pensée; les trois cow-boys passent inaperçus de cette guerre si atroce, inutile et stupide. Ils ne veulent pas se mêler à cette affreuse guerre, mais ils y sont obligés s’ils veulent aller chercher le magot qui est en fait derrière ce pont. Leone s’inspire de nombreux tableaux s’inspirant de moments importants de cette guerre. Les peintres Charles Russell et Frederic Perrington en sont les plus connus. Par exemple ce merveilleux travelling qui nous amène à découvrir, en même temps que Tuco et Blondin, ce champs de soldats, de tranchée et de canon. L’image est ultra chargée, presque surréaliste. Le représentation de cette guerre n’aura jamais été vu de cette manière au cinéma.


Le plus grand mythe américain : le cow-boy
Leone redéfinit dans son film le mythe de l’homme de l’ouest, donc le héros. Dans le western classique, le héros est souvent un cow-boy, un étranger, un marginal. Par exemple dans My darling Valentine, le personnage joué par Henry Fonda, Wyatt Earp est un cow-boy qui, par la force des choses, devient shérif et enquête sur des hors-la-loi qui ont tué ses frères. Dans les films classique, la violence est toujours justifié par le passé du personnage, qui est pour la plupart du temps très sombre. Dans la trilogie de Leone, le personnage principal joué par Eastwood n’a pas de nom, pas de passé, pas d’endroit pour vivre en paix. Il ne fait que errer de village en village à la recherche de quelque chose, mais qu’est-ce que ce quelque chose? Dans A fistful of dollars réalisé en 1964, le personnage arrive à dos d’âne, et non à dos de cheval. Il arrête à un puit et observe une scène de bataille entre un homme et son fils de huit ans. En terme de western classique, le bon héros irait sauver le jeune garçon des mains de son violent père. Ici, le personnage reste sur place et observe, comme le public qui regarde le film, la scène qui se passe devant lui. Dès la première scène, l’étranger est dépeint comme un anti-héros. Son passée n’est jamais dévoilé dans les autres films de la trilogie. Il parle peu, mais dégaine plus vite que n’importe qui, et est très rusé. Dans le deuxième, for a few dollars more, il agit en tant que chasseur de prime. Il ne vit que pour l’argent, s’enrichir des autres. Dans le dernier chapitre, il erre encore à la recherche de sources financières, et en arrive à une chasse au trésor alors qu’un magot de 200 000$ est enterré dans un cimetière. Le héros traditionnel ne cherche pas à s’enrichir de la sorte, et n’est pas égoïste à ce point. Cependant, le personnage de l’homme sans nom, dans le dernier épisode possède un cœur, de la pitié du moins. Dans la scène de la bataille des sudistes contre les nordistes, il offre à un soldat une dernière cigarette avant de mourir. Ce geste parle de lui même, Blondin a peut-être des sentiments envers autrui. Leone amène une autre façon de voir le héros américain, lui qui n’a pas de eu de véritables sentiments dans les deux autres films.

La plasticité
Un autre côté très maniériste de Leone est son attachement pour les petits détails, aussi insignifiante soit-elle. Il possédait une culture cinématographique très forte, abordant souvent la couleur de ses films en se référent à d’autres long-métrages ou à des toiles de peintre célèbres. Il voulait leur rendre hommage, tout en apportant un autre sens à ses films. Dans The good, the and the ugly, la lumière reflète les sentiments des personnages. Le clair-obscur est ici très importants; les scènes les plus symboliques restent sans aucun doute ceux des duels lorsqu’on voit de loin, d’une façon indescriptible à cause de la lumière, le cow-boy en question. Celui-ci se tapisse dans l’ombre, attendant le moment importun pour s’avancer vers son adversaire. Le western classique a déjà inventé ce genre de scène, mais Leone l’exacerbe au plus haut point en exagérant sur la durée du plan et de son espace. Dans une autre scène, une forte lumière jaillit d’une fenêtre, référence évidente à Vermeer, un des peintres favoris du cinéaste. Au tout début du film, le personnage Sentenza (joué par Lee Van Cleef) fait son travail de chasseur de prime en se rendant chez la personne qu’il devra descendre. Dans cette scène, le clair obscur connote la mort, l’ange de la mort ou bien la faucheuse. En effet, Sentenza se tient dans l’entrée et reste immobile. La caméra est situé au fond de la maison, du point de vue de la prochaine victime. Ce qui donne une très grande profondeur de champ, et l’occasion de rendre hommage à un des plus grands, sinon le plus grand western classique, The searchers de John Ford. Dans le film de Leone, le personnage de la mort se situe dans un cadre (celui de la porte), qui est situé dans un cadre qui à son tour est situé dans un autre cadre, celle de la caméra, et du spectateur. Leone a cette façon exagéré de rendre hommage à son maître de toujours, Ford. Ce plan de John Wayne dans un cadre de porte s’en allant seul dans le désert est une des images de cinéma qui marqua le plus son histoire.

Espace latente
L’espace et le temps. En seulement quelques films, Leone a su par ces deux règles fondamentales, changé littéralement la façon de faire du cinéma. Il utilise l’espace comme un personnage. Il filme les décors, les paysages, les personnages comme jamais quelqu’un n’avait fait avant lui. On dit de lui qu’il filmait les paysages comme des visages, et des visages comme des paysages. Selon le texte Une praxis du cinéma de Noël Burch, l’espace au cinéma se divise en deux espaces : celui qui est compris dans le champ et celui qui est hors-champ. Le hors-champ, beaucoup plus complexe, est moins évident à analyser. Leone compose dans ses plans, donc dans le champ de vision du spectateur, de véritable peinture cinématographique. Dans son texte L’organisation de l’espace dans le Faust de Murneau de Éric Rhomer, l’auteur appelle ça les espaces pictural. (…) Ces espaces, projetée sur le rectangle de l’écran, est perçue et apprécié comme la représentation plus ou moins fidèle, plus ou moins belle de telle ou telle partie du monde extérieur. Cet espace respecte les conventions de la photographie et de la peinture. D’une nature très baroque, Leone a tendance à surchargé son espace, ou tout simplement le laisser vide. Ainsi, il filme les paysages dans leur nature propre (par exemple ce long désert dénudé de vie et extrêmement chaud, référence ), alors que, au contraire, surcharge les scènes (l’impressionnante bataille avec les soldats et le pont, ou bien les scène de pièce d’intérieur avec toutes ses objets qui surcharge l’image). Cinéaste de la démesure, il s’inspire de la peinture baroque italienne pour insuffler ce désir de l’extrême. Dans une entrevue, Leone affirme : J'ai besoin de travailler sur la fantaisie pour mieux installer la chorégraphie et le baroque dans mon écriture cinématographique. Cette écriture cinématographique, il la retrouve dans l’image, mais aussi dans son intensité hyperbolique : celle du cow-boy qui chevauche son cheval et se confronte à l’homme lui-même et la nature. Dans le film de Leone, cet espace est très grand et les plans d’ensemble font tout sens quand on pense que l’homme, au début de son cheminement, est plus petit que la nature. À la toute fin du film, Blondin retourne en Poor lonesome cow-boy, dans le soleil couchant. Le plan de caméra met le personnage au même niveau de la nature. La caméra est en plongée, la nature est aussi petite que l’homme en réalité. Leone met donc l’homme et la nature sont donc pas si différent que cela. L’homme est un être qui revient à son état pur d’animal, sauvage.

Temps rallongé
Leone joue énormément sur le temps. Dans chaque duel, le temps est plus long que la réalité dans laquelle la scène doit se passer. Il utilise des ralentis lorsqu’ il ne devrait pas y en avoir, pour soutenir la pression, le suspense. Dans un western classique, le duel ne dure jamais si longtemps. Leone alterne plan d’ensemble, gros plan, très gros plan, avec un tel plaisir que le spectateur peut le sentir seulement dans la façon qu’il est montré.

Prenons par exemple ce fameux duel à trois au cimetière de Sad Hill. Placées en triangle, les trois personnages se font face. La séquence commence avec un long plan d’ensemble, suivi d’un autre plus court, qui permettent aux spectateurs d’identifier l’emplacement des personnages. Ensuite Leone présente en plan américain assez rapidement les duellistes. Suivant toujours la règle de trois, c’est-à-dire qu’il présente les trois personnages selon un rythme lent et/ou rapide en ordre désordonné, la caméra est perché en haut des épaules pour représenter un autre point de vue. Toujours d’un montage un peu plus rapide à chaque fois, on se rapproche du personnage (on a vu leurs pistolets, leurs visages en gros plan, etc). Les personnages deviennent de plus en plus nerveux, la musique de plus en plus forte et le spectateur a hâte que le duel se termine. Le montage est aussi de plus en plus rapide, alternant des gros plan sur le visage à des très gros plan sur les yeux. Quelque chose va se passer, mais quoi, et surtout quand? Avant le coup de feu, c’est l’apothéose d’images (montage très baroque, on joue encore sur la surenchère et le superflu). Leone utilise la fréquence au niveau du montage. Il montre la même image plusieurs fois, tout en mettant l’accent sur les gros plan. Plus on avance dans le duel, plus la musique devient aussi forte, baroque. Dans les films de John Ford ou Howard Hawks, le personnage principal (joué la plupart du temps par John Wayne ou Henry Fonda) est toujours immobile, tranquille, loin de la communauté, mais sur le point d’éclater quand survient le bon moment. À la toute fin du film, telle une bombe, le héros excède dans une rage de violence décimant tous ses adversaires. Le principe de ce duel dans le cimetière est identique. Tout d’abord les trois personnages se regardent, s’apprivoisent, se contemplent. Ils restent immobile. Au moment du duel, Blondin tue son adversaire d’une grande efficacité. La scène entière du duel à trois est reproduite de la même façon (le montage, la musique, la durée et la fréquence des plans, etc). Tout d’abord, tout est très lent au début. Plus la scène avance, tout est plus rapide, sur le point d’exploser. Les gros plans prennent ici toutes leurs sens L’apothéose atteint son apogée lors de cette succession d’images et qu’on entends enfin ce coup de feu, qui signifie l’explosion de la scène. L’homme a maintenant passé de la phase végétative à la phase animale, sauvage. La scène de l’introduction, et de présentation, avec Tuco et Sentenza sont analogues. La scène est lente, sans dialogue, avec que des sons intra-diégétique. On marche lentement vers la mort. Les plans se succède d’une lenteur presque insupportable, pour enfin exploser dans cette violence. La mort est latente avec Leone, mais finit toujours par rattraper d’une violence inouïe ceux qui l’ont provoquées, ceux qui l’ont cherchées. Cette façon baroque de filmer un duel deviendra la marque de commerce de monsieur Leone (on n’a qu’à se rappeler le début de Once upon a time in the west, ou bien encore l’introduction de Once upon a time in America qui se veut plus un drame policier, mais qui respecte les règles et les conventions propre à ses autres westerns).

En seulement sept films, monsieur Leone imposa rapidement sa cinéphilie sur pellicule, en s’inspirant des films qu’il admire et ce depuis sa tendre enfance, comme un peintre du temps du maniériste qui peignait une toile en s’inspirant d’autres peintres. Ses films resteront dans la mémoire des gens à tout jamais parce qu’il amena quelque chose de nouveau, mais surtout pour une toute autre façon de penser et de filmer pour ce médium qu’est le cinéma. Depuis quelques années, les réalisateurs tentent par tout les moyens de faire comme Sergio Leone et de rendre hommage aux cinéastes qu’ils admirent. Peu auront eu une carrière aussi florissante et marquante que l’aura eu monsieur Leone. En 1989, il mourut et laissa un héritage important sur pellicule; soit l’histoire de l’ouest américaine, mais aussi l’histoire du cinéma entière…

I'm Not There de Todd Haynes



Dans un film classique appelé biopic (terme utilisé pour dire biographie), le cinéaste tente de faire découvrir au spectateur une personnalité ou un personnage connu en relatant sa vie, son oeuvre. La plupart de ces films sont linéaires, presque documentaires par moments, et respecte, la plupart du temps, l’univers de l’artiste en question. Pour rendre hommage au chanteur Bob Dylan, le réalisateur Todd Haynes a donc décidé de faire un film sur la vie de ce chanteur tout en déconstruisant totalement la construction narrative du récit. Il propose en effet six personnages qui représente le distinctes facettes de l’artiste en question à différentes époque de sa vie. Quoi de mieux que de mélanger des parties de la vie d’un homme quand celle-ci a été aussi désorganisée que sa vie l’a été. Examinons de plus près comment le réalisateur a su mener son style de récit narratif si particulier par le biais de la mise en scène et du montage.

Un style narratif bien à lui
« Je ne suis pas le président. Je ne suis pas un berger, mais un raconteur d’histoire ». Cette phrase dite par le personnage de Cate Blanchett (Jude Quinn dans le film, le Bob Dylan version vedette de rock’n’roll) résume la pensée narrative du film. Ce que le cinéaste a voulu dire au spectateur c’est que le film relate la biographie de Bob Dylan, mais pas de la même façon que d’habitude. Il n’a pas voulu suivre le troupeau et faire comme les autres en racontant la vie d’un artiste d’une façon linéaire et classique ( les deux plus récent étant Walk the line de James Mangold ou Ray de Taylor Hackford, pour ne nommer que ceux-là). Il a voulu plutôt prendre certains moments de la vie de l’artiste et en inventer d’autres. Le film est donc déconstruit. La narration passe d’une époque à une autre sans pour autant perdre le spectateur.
Le film commence donc sur un accident de moto. On amène un des personnages sur une civière. Les médecins l’examine, l’ausculte. C’est ce que le réalisateur va tenter de faire durant le film; examiner le personnage qu’est Dylan, l’ausculter jusqu’à ce qu’ils ne restent plus rien. Une sorte de réflexion sur le personnage, mais aussi une réflexion sur le cinéma dans la manière narrative de raconter l’histoire d’un seul homme qui sont en fait différentes personnes qui l’interprète. Chaque histoire, chaque personnage a un point de vue différent de l’homme. Un montage rapide sert à présenter les six personnages au public. Après que les présentations soient faites, le film peut donc commencer. La première image du film, après le générique, est un homme qui se réveille. Cet homme est le Dylan dans sa période country, sa période solitaire. Son nom est Billy the kid (interprété par l’acteur Richard Gere). Ce qu’on va voir, c’est sa vie, mais aussi ses autres vies.
Le montage selon Haynes
Un des procédé remarquable utilisé par Haynes dans I’m not there reste surtout le montage. Par ce procédé, il conçoit une nouvelle forme de récit dont la temporalité joue un rôle primordiale. En effet, l’ordre et la fréquence sont des éléments importants utilisés par Haynes dans le film. Les tableaux n’ont donc pas d’ordre particulier. Le cinéaste joue avec cette liberté de mener le récit à l’endroit ou il désir, tout en gardant le spectateur avec lui. Comme par exemple, des retour-en arrière, plus communément appelé flash-back, sont utilisés pour caractérisé, mettre de l’emphase sur une partie de la vie des personnages. Dans son essaie intitulé Le flash-back, Yannick Mouren parle de ce phénomène en disant que
« Certains récits filmiques présentent un flash-back externe, le plus souvent continu et raccordant (…) qui ne donne pas la clé de l’énigme mais explique le mystère relatif à la personnalité du héros »

Ce mystère entourant ce personnage sera tenté d’être résolu, par le biais du passé, à différentes étapes de sa vie. Haynes recherche qui était vraiment ce mystérieux Dylan à travers des retours- en-arrière. Le film serait donc une rétrospection de la vie de Dylan, un unique flash-back si l’on considère le film comme une recherche du passée. On se promène du passé au présent, du présent au futur sans jamais expliquer ou l’on est vraiment. Un des plus long flash-back est sûrement lorsque Robbie Clark (personnage joué par Heath Ledger) fait la rencontre de Sara, avec qui il aura deux petites filles. La scène commence alors que Sara regarde la télévision. Pour représenter le flash-back de sa rencontre avec Robbie, le réalisateur utilise le zoom comme procédé. Tout en s’approchant du visage de Sara avec la caméra, on tente d’entrer dans sa tête pour aller puiser ses souvenirs. On oublie maintenant le présent de la scène et on passe au passé. L’histoire est maintenant celle de la rencontre entre lui et Sara quand ils étaient plus jeune. La notion du passé et du futur est aussi très importante en supposant bien évidemment qu’il y ait un présent. Car tout comme l’ordre narratif qui est manquant, la notion du temps y est tout aussi absente.

La fréquence est aussi très importante dans le film. Elle permet de mettre une emphase, d’insister sur certains points pour pointer du doigt, ou faire comprendre un élément non-dit dans le film aux spectateurs. Dans L’art du film : une introduction, les auteurs David Bordwell et Kristin Thompson insistent sur le fait
« qu’un évènement de l’histoire est généralement présenté une seule fois dans le récit, mais un bouleversement chronologique, ou une démultiplication des points de vues sur une même situation, peuvent motiver des répétitions plus ou moins divergentes ».
C’est ce qui se produit dans le film de Haynes. Le fait que l’histoire soit toute déconstruite, cela amène des répétitions comme par exemple le réveil du hors-la-loi sur son fauteuil. Au tout début du film, une séquence de quelques secondes nous montre Billy the Kid se réveiller. Plus tard dans le film, on revoit cette même scène, mais on comprend que son histoire commence à cet endroit du film et non durant la scène du jeune Guthrie. Le cinéaste introduit des plans ainsi pour prouver que chaque personnage n’est en fait qu’un seul. Autre motif pour ce qui attrait aux fréquences est l’apparition de la séquence des six personnages en plan fixe sur fond blanc. Cet élément est répété pour symboliser le fait que les six personnes représentent en fait qu’une seule personne. Bordwell et Thompson disent dans l’Art du film : une introduction que « la répétition d’un motif est rarement un motif à l’identique » . En effet, le procédé n’est pas identique à chaque fois. Les personnages sont présentés dans un ordre différent. Au tout début du film, cela sert à nous les présenter en disant un mot qui les caractérise. La boucle est enfin bouclé à la toute fin alors que la séquence est reprise et qu’elle prend un tout autre sens.
Autre façon particulière de raccorder les tableaux ensemble pour qu’il ne forme plus qu’un est cette idée de laisser l’image et le son s’entremêler à la fin d’un tableau et au début d’un autre. Par exemple, le personnage de Jude entre dans une pièce noire. Cette scène est ensuite assemblé à Billy the Kid qui sort d’une autre pièce par une porte. Ce montage par continuité fait avancer le récit. Elle fait le lien entre les deux personnage distincts. A quelques reprises dans le film, les paroles d’un personnage sont aussi raccordées à une autre scène. Par exemple, la scène d’Arthur Rimbaud est joint par celle de Woodie Guthrie à quelques reprises. Arthur finit sa dernière phrase alors que la scène de Woodie a déjà commencé. Ou bien encore, lorsque Billy the kid regarde au loin à l’horizon. Des inserts d’images de la guerre du Vietnam viennent frapper l’imagination du personnage. Le son se fait de plus en plus fort. La caméra recule, on sort de la télévision et on se retrouve dans le salon avec Sara, la femme de Robbie. Par l’entremise de la télévision, une autre transition a été effectuée. La continuité du son et de l’image reste très pertinente du fait que chaque personnage n’est en fait qu’un seule personne. Nul doute que par son montage si distinctif, l’originalité du film de Haynes est également causé par sa mise en scène.

Mise en image d’un monde hors du commun
Or, il serait inutile d’analyser toute la mise en scène du film tellement elle est complexe et différentes d’un tableau à l’autre. Concentrons nous sur deux personnages, soit celle de Billy the Kid et de Jude Quinn.
La mise en scène éclatée correspond parfaitement au personnage de Jude Quinn interprété par Cate Blanchett. Effectivement, à cette époque, Bob Dylan n’était plus le même qu’avant. Il est passé de la musique folk à la musique rock commerciale en très peu de temps. Sa vie ressemblait alors à un enfer : sexe, drogue et rock’n’roll. Le choix de l’image en noir et blanc exprime ce côté sombre de sa carrière. Dans beaucoup de scènes, le côté psychédélique de l’époque est bien rendu, comme dans la scène avec les membres du groupe The beatles ou cette fameuse scène de la fête du gérant de celui-ci. Cette scène de la fête, représente bien l’atmosphère qui en découlait dans les années soixante. En effet, le décor correspond à ce côté hallucinant dont la tarentule et les projections sur le mur qui font comme si les personnes hallucinaient, après avoir trop abusé de drogues fortes. La mise en scène de la musique a une place importante dans ce tableau, notamment avec la chanson Ballad of a thin man. Elle permet de faire avancer l’histoire par la mise en image en parallèle du vrai mister Jones qui découvre qui est réellement ce Jude Quinn. Ce segment est intéressant dans sa mise en scène lorsque monsieur Jones se met à halluciner en se voyant lui-même et qu’il est comparé à un freak par Jude. La mise en scène de tout ce tableau permet de voir à quel point Haynes sait composer ses images et fait attention aux moindres petits détails.

Autre tableau, celui de Billy the kid. Le personnage s’est maintenant retiré de la musique, du bruit, de la ville. Il s‘est maintenant isolé à la campagne. Il porte chapeau et veste de cow-boy. Sa transformation est d’ores et déjà faite. Le réalisateur filme la nature dans des décors naturelles, filme un chien qui court, des enfants assis. Les couleurs des feuilles des arbres sont belles, vives. Pas de doute, le personnage est maintenant loin du son urbain. Il vit une vie tranquille, en paix avec lui-même. Le réalisateur ralentit le rythme du film grâce à sa mise en scène ample, qui prend le temps de voir les choses. La caméra suit le mouvement de la nature. Aussitôt arrivé au village, les couleurs sont plus grises, mais les habitants du village, très colorés. Ils semblent sortir tout droit d’un cirque. Au loin, une girafe entre dans le cadre, serait-il encore en train de rêver? Haynes met en image un rêve, un songe. Finalement tout le contraire de l’enfer qu’il a vécu quelques années auparavant.

Pour conclure, nous avons vu à quel point le réalisateur utilise les forces du montage, de la mise en scène et de la narration pour déconstruire un récit somme toute assez banal, celle de la vie d’un homme. Or, cette vie, nous l’avons vu, n’est pas une vie conventionnelle. Ce qu’en fait Haynes reste un film d’auteur, très personnel. Reste à savoir si les prochains films à caractère biographique prendront ce même chemin poétique ou vont revenir à un style plus classique, plus près de ce que le public est habitué.

Les chansons d'amour, de Christophe Honoré



Que ce soit au théâtre ou bien plus tard au cinéma, la mise en scène est la base de tout ce qui se présente devant le spectateur. Au théâtre, tout se passe sur la scène. Au cinéma, c’est bien sûr ce qui montrer dans le cadre, et parfois dans le hors-cadre. Pour son quatrième film, le jeune cinéaste Christophe Honoré réalise Les chansons d’amour un film obscur sur l’amour, la quête de l’identité, le deuil, la famille, la fuite, et tout ça sous forme de drame musical. Empruntant clairement la technique cinématographique et les thèmes chères à l’époque de la Nouvelle-Vague, Honoré crée bien plus qu’un film-hommage à ces cinéastes, mais bel et bien un portrait réaliste du Paris d’aujourd’hui. Plus de cinquante ans ont passées depuis les débuts de ce mouvement; que reste-t-il encore de cette Nouvelle-Vague? Comment les cinéastes restent-ils encore actuel de leur société tout en s’inspirant d’une époque cinq décennies plus tard? Et bien tout simplement en citant des passages de films de cette époque et de revenir à un goût misé plus sur le réel que sur l’image, donc une méfiance plus direct aux différentes techniques cinématographique. Bon nombre de cinéastes sont encore influencés par cette mise en scène et manière de penser le cinéma, dont Christophe Honoré avec Les chansons d’amour.

Vers une nouvelle vague…
Vers la fin des années cinquante et le début des années soixante, le cinéma vécue un vent de fraîcheur venu tout droit de la France. Des cinéastes tels que Jean-Luc Godard, François Truffaut, Alain Resnais (et bien d’autres), formèrent un cinéma plus libre, plus actuel de leur temps. Finit l’époque de l’académisme française ou l’on adapte des romans de grands écrivains avec des décors en carton- pâte. Maintenant, on descend dans les rues filmer le présent avec une équipe réduite à son minimum et entouré par des amis proches. Les cinéastes sont pour la plupart des cinéphiles engagés qui ont un mot à dire et un hommage à rendre à leurs cinéastes préférés (Alfred Hitchcock, Howard Hawks, Fritz Lang et John Ford en tête). Ils sont donc la première génération de cinéaste-cinéphile à percer dans le domaine, et toucher le cœur des gens. Quelques décennies plus tard, cette façon de penser n’a jamais cessé d’hanter les cinéastes français, mais aussi partout à travers le monde.
Il en va de soi que le réalisateur des Chansons d’amour ne cache pas sa volonté à rendre hommage à certains passages cinématographique qui appartiennent au courant de la Nouvelle-Vague. Or, ce qu’il en fait reste quelque chose de très différent, plus actuel. Il insère dans sa narration plusieurs citations qui sont évidentes, tandis que d’autres le sont beaucoup moins. Les plus évidentes sont sans aucun doute les multiples citations à un des réalisateurs phare de ce courant, Jacques Demy. Dans son deuxième film, Les parapluies de Cherbourg, Jaques Demy découpe son film en trois actes : le départ, l’absence et le retour. La narration du film d’Honoré se divise également ainsi. La division est la même, mais l’histoire, très différente. Dans le film de Demy, le départ est causé par la guerre, par la mort dans celui d’Honoré. La deuxième partie, par l’absence du jeune soldat et de la mort de Julie. Le retour : celui du retour du jeune soldat dans son pays, le retour à la vie pour le jeune Ismaël, personnage principal du film d’Honoré. Il s’inspire bien sûr des films musicaux à grand déploiement comme les confectionna Demy, mais en construisant quelque chose de plus moderne, moins singulier, donc plus près d’une certaine véracité du réel.

La réalité, la vraie vie, reste un thème important pour la Nouvelle-Vague, mais aussi pour le film d’Honoré. À titre d’exemple, au tout début du film, on se retrouve autour d’une table pour un dîner en famille avec les parents et sœurs de Julie. Cette scène, filmé comme un jeu, est criante de vérité. La caméra se promène autour de la table de personnages en personnages pour capter ce petit moment de joie ou de peine, qui paraît sans doute banal, mais très typique des familles d’aujourd’hui. Le cinéaste Eric Rhomer filmait ses petits moments, se prenait plaisir à laisser ses acteurs improviser et ainsi à laisser tourner sa caméra devant le réel. Maurice Pialat fit aussi une scène de jeu familial durant un dîner qui lui ressemble beaucoup dans Van Gogh en 1991.

Le temps présent se mêle au passé
Le spectateur cinéphile peut constater dès les premières images du film une influence de la Nouvelle-Vague, très près du cinéma vérité : les plans sont filmés dans les rues de Paris à l’insu des passants et des habitants du Dixième arrondissement (quartier de la ville Lumière rarement filmé depuis l’invention du cinématographe). On tente ici par des plans d’ensemble de la ville, des travelings, des gros plans sur des passants de faire comprendre que le film se passe dans notre temps. Par exemple, l’affiche du film Apocalypto de Mel Gibson est montré sur les murs avec d’autres affiches de films de la même époque. Il n’y a pas de doute, le film se passe bien en 2007, année de sa production. Pendant que défile ces images, un cadre en rectangle remplace le ratio de cadre habituel au cinéma. Cela ressemble beaucoup aux vidéos de souvenirs de famille en huit ou seize millimètres. On filme donc le temps présent, mais un temps qui sera vite du passé, du souvenir.

Musique, musique! Que de musique.
La mise en scène dans les numéros musicaux du film d’Honoré ne sont pas typique du film musical à grand déploiement. Comparativement aux films de Demy (les demoiselles de Rochefort en tête), ou la musique est joyeuse et rythmée, celle d’Honoré est plutôt sombre, plus réaliste (surtout en ce qui concerne la deuxième et troisième partie). Les personnages, en fuite d’eux même, mais aussi d’autrui, ne disent pas ce qu’ils ressentent, ils le chantent. La seule façon de vraiment avouer tout haut ce qu’ils pensent tout bas se résout dans la musique. L’organisation des corps dans l’espace joue un rôle primordial pour faire ressentir au spectateur cette fuite, cette distance. En titre d’exemple, dans la chanson La distance composé par Alex Beaupain, les deux personnages se cherchent, jouent au jeu du chat et de la souris. Ils sont près l’un de l’autre, mais parlent encore au téléphone comme si en réalité ils ne se voyaient pas. La caméra va et vient d’un côté comme de l’autre de la rue. Elle prend, tout comme les personnages, une certaine distance..

Techniques classique
Depuis le début des années 90, le cinéma français est revenu à ce même esprit de la Nouvelle-Vague du côté de la prise de vues et du cadrage. René Prédal dans son livre Le jeune cinéma français dit :
« (…) les cinéastes sont d’avantage du côté du réel que de celui de l’image : pas de ralentit
ou d’accéléré, pas de transparence, d’effets spéciaux, peu de flash-back, pas de split-screen, de couleurs désaturées ou d’images surexposées, de surimpressions, peu de trucages en laboratoire… »

Honoré respecte les procédés que les réalisateurs de la Nouvelle-Vague ont su instaurés quelques années avant. Par contre, quelques techniques propre au cinéaste reviennent souvent dans le film sur lesquels on peut s’attarder. Un des procédés remarquable qui revient souvent est le traveling. Il est souvent utilisé pour symboliser cette fuite, ou tout simplement pour suivre un personnage qui marche dans la rue. Par exemple, au tout début du film, on suit de dos le personnage de Julie. À plusieurs reprises, elle fuit l’amour qu’elle a pour Ismaël. La caméra la suit en effectuant un traveling-avant. Cette technique prend tout son sens lors de la chanson Je n’aime que toi alors que le trio amoureux chante dans les rues de Paris. Pour souligner à quel point Julie veut s’éloigner des deux autres, Honoré place son sujet dans une forte profondeur de champ et fait un traveling-avant en même temps de faire un zoom-out (le contraire serait tout aussi valable : un traveling-arrière et un zoom-in). Ce qui donne un effet d’éloignement artificiel. Ce procédé (que Alfred Hitchcock a inventé pour symboliser le vertige dans Vertigo) se répète à la toute fin du film alors qu’Ismaël erre dans les rues de Paris et se souvient de Julie dans la noirceur. On voit donc Julie se rapprocher de plus en plus de la caméra, tel un fantôme. Elle apparaît encore une dernière fois vers la toute fin du film alors qu’Ismaël va la voir au cimetière. Le cinéaste cadre les deux personnages marchant côtes à côtes en effectuant un traveling-arrière. Cette fois, on voit les deux personnages marcher ensemble, dans la même direction. Elle réapparaît en spectre en haut du cadre avec l’image superposé d’Ismaël qui erre dans la nuit. Il a enfin compris qu’il faut faire le deuil. Le traveling est aussi utilisé pour suivre les protagonistes dans leur errance, notamment lorsque Ismaël revient de chez ses beaux-parents après la mort de sa petite amie ou bien encore lorsque la sœur aînée de Julie erre avec le chien à la recherche de réponses à ses questions, à la toute fin du film.

La mort est aussi un des éléments thématique très important du film. Pour le souligner, Honoré utilise un autre élément formel très important s’inspirant de la Nouvelle-Vague : les arrêts sur images. Dans la scène de la mort de Julie, plusieurs arrêts sur images sont créés pour accorder un impact plus dramatique à la scène. Les images les plus importantes, voire les plus touchantes, sont ainsi mises en avant plan. Le cinéaste Chris Marker l’avait déjà fait dans le film La jetée en 1962. Film construit uniquement en images photographique, plus communément appelé photo-roman, Marker popularisa le genre. Beaucoup de cinéastes s’en inspirent encore aujourd’hui notamment Terry Gilliam avec Douze singes qui prit la même trame narrative pour construire son récit : soit celle d’un homme qui retourne dans le passé pour récupérer des informations sur un virus.

L’art au service de l’art
La citation d’œuvre, tout art confondu, est une autre façon de voir la réalité que les cinéastes de la Nouvelle-Vague ont su mettre en valeur. Elle permet au spectateur de constater à quel point le film se rapproche du monde dans lequel il vit car les œuvres citées existent dans la vraie vie. Parmi ces arts, la littérature a une place de choix. Tout comme ils le faisaient avec le cinéma, les cinéastes aimaient rendre hommage à leurs auteurs préféré. La prochaine scène du film d’Honoré illustre bien ce propos : les trois personnages se retrouvent couché dans un lit, un livre à la main. Un traveling vers la droite balaient un à un leurs livres. Présenté maintenant en gros plan, le spectateur peut lire le titre de ce que le personnage lit. Ce procédé est utilisé dans le film Domicile conjugal de François Truffaut en 1971. En effet, un gros plan est fait sur les livres que le jeune couple lisent dans leur lit. Dans une autre scène, durant l’enterrement de Julie, un gros plan d’une page du livre La nuit remue d’Henri Michaux est aussi fait. La caméra s’attarde sur cette page pour que le spectateur puisse avoir le temps de la lire. En résumé, on y lit ceci :
Quand l’âme quitte le corps par le ventre pour y nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c’est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime.
Ce passage résume en partie le film. Julie décède à cause d’un maux de ventre, sorte de crise d’angoisse. Il y émane alors un tel relâchement des sentiments dans la famille les uns envers les autres. Plus personne ne réagit de la même façon qu’avant le drame. Le bonheur de la scène de la cuisine du début du film renvoie directement à celle après le drame. La famille se retrouve à la même table, mais seulement la tristesse et la monotonie remplace la joie.

Cinquante ans plus tard, les cinéastes français ont sans un aucun doute encore cette même pensée du cinéma qu’un certain Godard, Truffaut, Demy ou Rhomer avait au début des années soixante. Un certain goût de la nostalgie revient dans le cinéma d’aujourd’hui. La dernière phrase du film convient bien à ce genre de nostalgie : Aime moi moins, mais aime moi longtemps. Ce que le cinéaste dit c’est qu’il espère que son film soit regardé et aimé dans quelques années, voire décennies, tout comme on aime et regarde encore ceux de la Nouvelle-Vague. Le cinéma est donc immortel, momifié…

The Prestige de Christoper Nolan




Depuis quelques décennies, le cinéma tente par tous les moyens mis à sa disposition pour échapper aux règles, aux conventions qu’on y a apporté, imposé. Un bon exemple reste sans aucun doute Jean-Luc Godard et La Nouvelle-vague en France au début des années 60. En effet, ils ont su avec de nouvelles techniques, et de nouvelles règles, renversé le cinéma dit classique. Depuis quelques années, le cinéma vit un renouveau par rapport à sa narratologie. On y tente effectivement d’impliquer le spectateur, de lui faire vivre des émotions, mais surtout de le déjouer et d’y faire remarquer à quel point le cinéma en est le meilleur médium pour créer des illusions, des tromperies. Pour son cinquième film, le réalisateur Christopher Nolan dirige The prestige tiré du roman du même nom de Christopher Priest, qui renverse les conventions narratologique en racontant une histoire non-linéaire. Cette fois-ci, il implique bel et bien le spectateur dans une histoire labyrinthique, parsemée d’indices qui nous dévoilent quelques secrets sans toutefois en dévoiler. Comme un bon magicien de la pellicule, Nolan arrive encore à surprendre son auditeur par le biais de procédés purement cinématographique, mais aussi par le biais de thèmes récurrents dans ses autres films tel que l’obsession, le double et la manipulation et bien sûr l’illusion; thème propre à la magie.

L’obsessive obsession de l’obsession
Nolan est un réalisateur obsédé. Obsédé par le médium lui-même qu’est le cinéma, mais aussi par les histoires et la façon de les raconter. Le film The prestige n’a rien de nouveau dans sa déconstruction du récit, le spectateur usant de sa logique pour reconstruire le film tel qu’il aurait été dans la vraie vie, c’est-à-dire dans sa linéarité. Quentin Tarantino est un de ces cinéastes à avoir inventé ce genre (ou plutôt le remettre au goût du jour, car cette façon de raconter une histoire au cinéma existait avant ça. On n’a qu’à penser à Rashomon de Kurosawa ou bien encore à certains films de Godard) avec des films tels que Reservoirs dogs ou bien encore Pulp fiction en 1994. Si le twist final a beaucoup d’importance dans certains films (comme par exemple The sixth sense de Shyamalan ou Saw de James Wan), il en est moins ici car le film en son entier est construit sous forme de twist, une autre façon obsessionnel de tendre un piège aux spectateurs et de le mener dans un endroit ou il ne s’attendait pas. Nolan renverse aussi le scénario néo-classique américain tel que beaucoup de films le respecte à la lettre. Ici, le spectateur doute des intentions de chaque personnages. L’un devenant le bien, l’autre le mal et vice-versa. Il n’y a pas de rôles assignés pour chacun. Les deux sont héros et méchants en même temps, avec sensiblement la même quête, la même destinée. Autre obsession du réalisateur : déstabilisé la structure habituelle, dérouté son public.

Bien entendu, tout commencement à un début. Cette règle, Nolan ne la respecte pas tout à fait. Le récit commence à un endroit précis de l’histoire pour que le spectateur soit au courant qu’il y est question d’un meurtre. L’énigme ici est de savoir comment ce meurtre s’est produit. Quelles ont été les intentions du meurtrier envers sa victime? Nolan s’intéresse ici au spectateur avant tout. Comme un magicien, il manipule le spectateur en nous donnant des illusions, des fausses pistes, et tout ça d’une manière cinématographique. Il utilise souvent la répétition d’une même scène avec d’autres petits détails qui vont se concrétiser au fil du film, pour faire ressortir une vérité, mais aussi pour garder ce mystère, ce suspense. Au moyen de flash back, il donne des informations et tente encore une fois pas la suite d’induire en erreur le spectateur au moyen de petits détails qui paraissent anodine, mais qui en font l’importance même du film (comme par exemple le journal que lit les deux personnages est en fait un des points centraux du film, un détail quand même négligé, mais très important). La répétition de même phrase ou de même image tout au long du métrage sont aussi très fréquentes. Par exemple la phrase Are you watching closely, ou bien l’image de la multiplication des chapeaux sont des éléments primordiaux du film. Le début et la fin du film font évidemment une boucle, les scènes étant entremêlées. Le début reste tout aussi important que la fin. L’auteur André Gardies dans son livre Le récit filmique parle que le début des films constitue un moment particulièrement important. Il continue en disant qu’ il amorce ce qui sera développer, mais surtout il confirme le régime narratif apporté, la règle du jeu. Ce jeu que Gardies nous parle, Nolan l’insère dans son film dès les premières image en avertissant le public de regarder de près ce qui va se produire devant ses yeux, tout comme un spectacle de magie peut s’accomplir. Le reste du film allant dans ce sens : suivre les règles du jeu. Car Nolan prend ses spectateurs pour des joueurs et lui, mène le bal.

L’obsession est le point central chez Nolan pour aussi la construction de ses récits. Les personnages principaux de ses autres films sont tous des êtres possédés, rongés par leurs démons intérieur. Ils possèdent tous une personnalité trouble qui va révéler au cours du film leurs mauvais penchants. Ici pas de manichéisme simpliste, mais des personnages torturés par leur passé. Par exemple dans Memento (réalisé en 2000), Leonard, un policier, se retrouve amnésique après une bataille et deviens obsédé par son ancienne vie, et par ce que les autres lui ont fait. Dans Insomnia (2002), le policier joué par Al Pacino se retrouve pour enquêter sur le meurtre d’une adolescente, mais tue accidentellement son coéquipier en poursuivant le meurtrier. Dans Batman Begins (2005), Bruce Wayne est obsédé par le meurtre de ses parents survenu quelques années plus tôt alors qu’il y a été témoin. Sa peur des chauves-souris (qui est aussi une autre obsession) va le révéler au grand jour comme un super héros, les obsessions et la peur étant les fonctions motrices de ses actes.

Dans The prestige réalisé un an après la relecture du mythe de Batman, les deux personnages principaux (Robert Angier joué par Hugh Jackman et Alfred Borden joué par Christian Bale), se rivalisent dans le cadre de leur spectacle de magie. Les deux personnages sont obsédés par leur métier, allant même jusqu’à sacrifier leur femme, famille ou bien encore une partie de leur vie pour parvenir à leurs fins. Créer le plus grand tour de magie qui soit. Une des phrase dites dans le film résume bien ce propos : Faire des sacrifices, c’est le prix à payer pour un bon tour. Le scientifique Tesla (interprété par David Bowie) a voué sa vie à la science tout comme la magie pour les deux autres hommes. Tesla avertit Angier que les obsessions ne mènent à rien. Il le met en garde que s’il construit la machine, cela pourrait lui mener sa perte. Peu importe pour Angier, il veut cette machine infernale. Il ne pourrait avoir la conscience tranquille si son obsession n’est pas rassasié. Cela le conduisant évidemment à sa triste perte…

Double manipulation
La manipulation et le double font aussi partie du métrage. En effet, les deux protagonistes sont des manipulateurs (tout magicien l’est en quelque sorte). Ils manipulent les gens assis dans la salle, tout comme Nolan le fait avec les spectateurs. Autant dans les images qu’ils nous présente que dans la façon de le raconter.
Le thème du double, et de la multiplication, sont aussi présents. D’un côté narratif, les histoires des magiciens s’imbriquent les unes dans les autres. On voit les tours de l’un et de l’autre, leurs vies, et aussi ce qui les fascinent toutes les deux dans ce domaine. Le côté narration est aussi complexe. En effet, tout au long du métrage les deux magiciens, par le biais des deux journaux, relatent par la voix-off ce qui est écrit pour que les spectateurs puisse comprendre. Le personnage de Cutter (joué par Micheal Caine) est aussi un narrateur que l’on entend au début et à la toute fin du récit (donc il boucle la boucle). C’est ce dernier qui nous explique ce qu’est exactement la magie, soit la règle des trois : le pacte, l’effet et le prestige. Dans le livre Le récit filmique , l’auteur fait un lien avec ce que le sémiologue Roland Barthes disait pour distinguer le narrateur, l’auteur et la personne : qui parle (dans le récit) n’est pas qui est (dans la vie) et qui écrit n’est pas qui est. Cette règle s’applique à merveille dans ce cas-ci. Les deux narrateurs sont intra-diégétique, c’est-à-dire à l’intérieur du récit. L’auteur est le réalisateur du film, donc n’a pas le droit de parole. Le film revient souvent sur le thème du double et de la multiplication. Par exemple, Cutter engage un sosie de Angier pour tromper les spectateurs lors d’un tour de magie qui reprend le même tour que Bolden. Il y a la machine à transporter l’homme qui est aussi une machine à doubler et même multiplier à l’infini (voir la scène des chapeaux multiplié). Le dernier exemple est la découverte du frère jumeau de Bolden. Nous allons découvrir ce frère lors de cette scène du tour de magie de l’homme transporté avec les portes qui s’ouvrent, mais en ne sachant pas que celui-ci est son frère. Cet aspect du double est ici très intéressant. Tout au long du film l’identité du frère est caché au public, et aux personnages du film. Ce qui donne une intrigue de plus. En effet la fin du film se base sur ce twist final pour en mettre plein la vue aux spectateurs dévoilant encore la puissance du médium qu’est le cinéma pour cacher certains éléments et les dévoiler au grand jour (il va s’en dire que ce twist fait référence au prestige, dernière étape d’un tour de magie, et dernier moment du film, le climax). Bolden possède un frère jumeau et celui-ci se cache sous l’identité de Fallon, l’homme à tout faire, son assistant. Mais ceci se complexe car les deux frère vivent la moitié de la vie de l’autre (leurs rôles peuvent s’inter changer n’importe quand). L’un est obsédé par la magie, l’autre est amoureux de sa femme. La magie va courir à la perte de l’un d’eux; l’autre va gagner sa fille, sa vie. L’ultime sacrifice pour réussir le coup de leur vie. Une deuxième vision, et même une troisième, prouvent à quel point le double et la multiplication sont importants pour en comprendre le sens premier que le réalisateur a voulu faire comprendre à son public.

L’art d’être magicien, l’illusion à son meilleur
Le film se construit sur l’illusion. Les magiciens se livrent une guerre sans merci pour trouver la meilleure illusion pour tromper leur public (le public assis dans la salle de spectacle, et nous spectateur interne de l’histoire), mais aussi pour tromper l’autre magicien, le rival. C’est ainsi que le réalisateur construit son film. Il nous fait découvrir un univers basé sur l’illusion, univers premier du magicien, du prestidigitateur.

The prestige contient aussi une très belle métaphore sur le cinéma. Se passant à l’époque des grandes révolutions scientifiques au 19e siècle, le scientifique Tesla invente une machine à transporter l’homme, une machine à illusion. En inventant le cinématographe, les frères Lumière, et autres scientifiques ayant contribué, inventèrent aussi une machine à illusion. Une machine qui nous fait voir une succession d’images qui peuvent créer des histoires, faire voir la vie d’une autre façon. Ils étaient considérés comme des magiciens et leurs soirées de présentation de leurs tours de magie se passait bien évidemment dans les même salles de spectacle que les illusionnistes et prestidigitateur. Nolan n’hésite pas à rendre un hommage à ces personnes qui contribuèrent à l’avancement de cette invention, invention qui est maintenant rendu à l’endroit précis aujourd’hui; c’est-à-dire une des inventions les plus importantes du 20e siècles.




Christopher Nolan est donc un des nouveaux cinéastes à surveiller de très près. Il explore divers genre avec toujours la même intention de jouer avec le spectateur, faire progresser le cinéma dans une nouvelle façon de voir le médium, tant au niveau narratologique qu’au niveau visuel. Sa vision de voir le cinéma diffère des autres réalisateur, il a un style classique, mais révolutionnaire dans la façon de faire ses films. Il apporte un vent de fraîcheur pour les cinéastes-auteur qui veulent conquérir le tout Hollywood. The prestige constitue un point culminant dans sa carrière faisant de ce récit un film aux rebondissements spectaculaire. Comme le reste de sa filmographie, il explore les thèmes de l’obsession, du double et de l’illusion d’un point de vue de deux magiciens en guerre pour avoir le meilleur tour. Nolan est tout aussi obsédé de réussir son meilleur tour, son meilleur film. Nolan serait donc lui aussi un obsédé du cinoche prêt à tout pour créer des illusions à l’aide de sa caméra. Jusqu’à maintenant, il a sans aucun doute réussit à manipuler son public, du moins jusqu’au prochain…